Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourquoi ? C’est un nouvel interrogatoire qui commence. Ainsi que Jacques faisait tout à l’heure, Micheline à son tour questionne, enquête, interprète, commente chaque parole et chaque silence. Cette pièce, c’est l’école des juges d’instruction.

Ici une critique que j’ai entendu formuler par beaucoup de spectateurs. On a dit : « Quoi ! A la minute même où son mari vient de mourir ! Ce mari si passionnément aimé, elle l’abandonne, cadavre pas encore refroidi, pour se livrer à cette besogne inquisitoriale ! Qu’elle le pleure d’abord : elle le jugera ensuite. » Je ne crois pas l’objection très fondée. Il faut tenir compte des nécessités du théâtre, obligé de nous présenter les choses en raccourci. Et puis, ce suicide est, pour Micheline, un coup si imprévu ! Elle a, jusqu’à la minute de tout à l’heure, vécu dans la conviction que tout lui était connu, non seulement de l’existence quotidienne mais de l’âme même de son mari. Elle tient pour certain que Robert n’avait pas plus de liaison qu’il n’avait de soucis d’argent. Alors quoi ? Quelque crime toujours précède les grands crimes ; quelque indice annonce les plus soudaines catastrophes : c’est l’inexpliqué de ce suicide qui tout d’abord saute aux yeux et s’impose à l’esprit. Il dessine un si énorme point d’interrogation, qu’il est impossible à Micheline de ne pas s’y heurter.

L’embarras et le vague des réponses qu’elle arrache plutôt qu’elle ne les obtient, la mettent peu à peu sur la voie. Comme ce personnage de Dumas fils, elle serait tentée de s’écrier : « Tout le monde ment ici ! » Elle gémit, avec plus de littérature : « Il me semble qu’un voile est prêt à se déchirer, et que chacun de vous fait effort pour le retenir sur ma tête. » Celle qui ment le plus mal, c’est certainement Germaine. La veille, elle a fait avec Robert une promenade d’une heure. Que se sont-ils dit ? En une heure, et seul à seule, on a le temps de se dire des choses. Germaine ne se rappelle pas. Elle ne se rappelle pas, et c’est tout ce qu’elle trouve à répondre. Elle a de la duplicité, mais elle n’a pas d’imagination... Après cela, Micheline n’a plus rien à apprendre. Personne ne lui a rien dit et elle sait tout. Elle sait tout et elle veut ne rien savoir... Cette fin est excellente, nous laissant deviner de quel affreux mélange de chagrin, de colère, de déception, — et d’amour quand même, — sera faite la douleur de cette femme maintenant agenouillée auprès du mari coupable et uniquement aimé.

Ne demandons pas à une telle pièce ce qu’elle ne peut nous donner. La psychologie en est forcément sommaire : chaque personnage