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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/304

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de personnes qui sont là pour toucher des appointements leur permettant de subsister, convaincues d’ailleurs que le bolchévisme est une folie. Une telle administration est profondément indifférente à ce qui se fait à l’usine qu’elle gère. Mais, en supposant même que les ronds de cuir bolchévistes soient animés du plus pur esprit communiste et travaillent avec enthousiasme, et que, d’autre part, les ouvriers de l’usine soient mus par le désir désintéressé de contribuer au bien-être général, les difficultés resteront énormes.

En effet, chaque usine dépend de la production d’autres branches d’industrie également nationalisées, et où règne le même désordre. La nationalisation a apporté partout une désorganisation complète de l’industrie, et le rendement du travail est réduit à zéro. Le mécanisme économique d’une commune à cent millions de participants doit avoir, pour fonctionner, une précision idéale qui n’est pas dans la nature humaine. L’esprit d’organisation n’a jamais été le fort du caractère russe, et le fond de paresse y a été toujours considérable. Un décret n’y peut rien. Je laisse de côté la question générale de savoir s’il est possible, en thèse absolue, de faire fonctionner un mécanisme social construit d’après les conceptions simplistes du « communisme, » je ne prends que les résultats acquis des décrets bolchévistes.

La production industrielle s’est arrêtée partout ; l’organisme social économique est mort. Les usines se ferment l’une après l’autre. La majeure partie des ouvriers est congédiée ; s’il en reste quelques milliers dans les grands centres industriels, ce n’est qu’à titre décoratif : il faut bien que la société nouvelle des invalides de l’industrie entretenus aux frais de l’Etat soit représentée. Les ouvriers congédiés restent au village, où ils ont gardé des liens, comme c’est le cas pour la majorité des ouvriers russes ; d’autres, plus adroits, devenus après le coup d’Etat des communistes officiels, sont depuis longtemps « commissaires ; » les troisièmes sont mobilisés et font partie de l’armée dite « rouge. »

Mais revenons à notre raisonnement. Vous avez quand même besoin d’une certaine marchandise. Il doit en rester encore quelque part, soit qu’elle ait été volée aux stocks nationalisés, soit qu’elle ait été dissimulée par les propriétaires. Vous êtes ici au le seuil du règne de la « spéculation. »