Sous le régime bolchéviste, le commerce clandestin et illégal n’est pas un fait plus ou moins exceptionnel ; c’est tout un mécanisme économique établi à côté du système de l’économie étatisée et qui remplit une fonction sociale de toute première importance. L’Etat, seul dépositaire légitime des biens, ne fournit qu’une quantité de vivres insuffisante. Privé d’autres ressources, vous mourriez littéralement de faim. Pour les autres objets, dans le genre du papier à lettres, l’Etat vous répond par un refus pur et simple. Comme cent millions d’hommes doivent continuer à vivre, un échange privé s’établit en premier lieu entre la campagne et la ville, puis à l’intérieur des villes ou entre les villes, échange sévèrement défendu et poursuivi par les autorités, mais qui prend une extension sans cesse plus considérable.
Le paysan apporte du pain pour acheter du sel ou des vêtements. On a tellement besoin de pain en ville qu’on le paie n’importe quel prix. D’autre part, le commerce du pain et son transport sont strictement interdits et, à chaque station de chemin de fer, des gardes rouges peuvent venir fouiller les voyageurs ; le paysan qui aura la chance de cacher sa marchandise, ou effectuera son trajet en chemin de fer sans rencontrer de gardes rouges, fera naturellement payer à l’acheteur les risques de la confiscation et de son arrestation éventuelle pour commerce illégal, etc. D’autre part, indépendamment des frais et du risque, il tâche de gagner autant qu’il peut et que la famine le lui permet. Le pain était payé à mon départ de Pétrograde, au mois de juin 1919, 50 roubles la livre, au lieu de 5 copecks avant le bolchévisme, c’est-à-dire que le prix a augmenté de mille fois. La même chose se produit dans les échanges des villes. Vous achetez votre papier à lettres à un vendeur qui, pour se le procurer, a enfreint quantité de lois pénales, a risqué la prison, voire la mort. Il n’a, comme concurrent, que l’Etat, propriétaire de tout, et ce concurrent ne peut rien fournir. Il est facile de s’imaginer quel sera le prix que vous devrez payer.
« L’homme au sac » (mechetchnik), paysan qui vous apporte clandestinement à domicile une certaine quantité de denrées dans un sac qu’il porte sur le dos, est la contre-partie du bolchevik. L’homme au sac est une partie essentielle de la vie économique russe sous le bolchévisme. Le mécanisme du