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Aïcha écoute là-haut le bruit des orchestres qui viennent de s’installer à nouveau, et pour elle cette fois, dans la maison de Didenn. Soudain, sur la route, elle aperçoit la nuée des Tlemceniennes qui s’approchent dans la direction du gourbi. On vient lui apporter des souhaits de bonheur.

Alors, sa joie éclate. Elle se rappelle tout le mépris dont elle a souffert de ces femmes, et de tout le monde. Elle n’y tient plus. À pleine voix, elle se met à chanter :

Brillez ! Brillez !
Vous tous ne valez que du vent !
Moi, j’ai ma chance belle
Et ma lampe illumine !
Tout ce que le maçon construit
S’élève et tombe,
Tout ce qu’a construit mon rêve,
Tout me réussit !…


Minuit. Aïcha, pâle d’émotion, fort jolie sous un léger costume de faille blanc, avance d’un pas qui tremble vers la chambre nuptiale. Deux maallmate la soutiennent. La foule des invitées, curieuse et compacte, se resserre autour d’elles. Les you-you se mêlent au son des guitares et des violons. Les parfums pleuvent des aiguières d’or.

— Prends ce que Dieu t’envoie, ô fils des heureux !

La portière s’écarte. Didenn apparaît, toujours beau et fier dans ses burnous de soie. Son visage, à la vue de la petite amie d’enfance, reflète une joie tranquille. Aïcha pense défaillir, lorsqu’elle sent le burnous de Didenn se replier sur elle avec tendresse, le bras du bey entourer sa taille nerveuse…

Tout le monde s’est écoulé… La musique a cessé… Alors pénètre Lalla Zoulikha, toute de brocart habillée… Elle avance, plus belle, plus imposante que jamais, encore grandie par le sacrifice… Elle vient elle-même tendre à Aïcha le petit bol de porcelaine plein d’un bouillon réconfortant.

— Bois, dit-elle à sa sœur.

Et elle insiste.

— Bois, car une nuit de noces procure tant d’émotion !



Elissa Rhaïs.