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eut tout d’abord dans la presse de ces deux pays tendance à y voir de la part de l’empereur Nicolas un acte de mauvaise foi, — disons le mot, — de trahison, envers la France alliée. Cette impression ne saurait résister à un examen sérieux du texte du traité ainsi que des circonstances dans lesquelles il fut signé.

A l’époque de l’entrevue de Bjorkoe, j’étais encore ministre à Copenhague et complètement ignorant de la signature du traité secret et des circonstances qui l’avaient précédé et suivi ; mais, au printemps suivant, lorsque je fus appelé au ministère, je fus mis au courant de ce qui s’était passé à Bjorkoe, du contenu du traité, ainsi que de la plupart des télégrammes échangés à ce sujet entre l’empereur Nicolas et l’empereur Guillaume. C’est un devoir pour moi d’apporter au débat, en ma qualité d’ancien ministre des Affaires étrangères de l’empereur Nicolas, un témoignage irrécusable.

Il faut tout d’abord se rappeler les circonstances au milieu desquelles l’empereur Nicolas se rencontrait avec Guillaume II et tâcher de se représenter l’état d’esprit qui était, à cette époque, celui du souverain russe.

L’empereur Nicolas avait vu, au cours des mois précédents, ses armées de terre défaites par les Japonais en Mandchourie et sa flotte, commandée par l’amiral Rodjestvensky, anéantie à Tsushima ; la révolution grondait partout en Russie et le pouvoir absolu des Tsars était menacé par les masses qui réclamaient le droit à une représentation nationale. Tout cela, aux yeux de l’empereur Nicolas, était la conséquence de la guerre avec le Japon, cette puissance lointaine qui n’aurait jamais osé provoquer la Russie, ni pu la vaincre sur les champs de bataille, sans l’appui de l’Angleterre, ennemie héréditaire que la Russie rencontrait partout, en Europe comme en Asie. Faut-il s’étonner que, dans ces conditions, il ait été facile à Guillaume II d’entraîner l’empereur Nicolas à se joindre à lui pour réaliser son plan d’une coalition continentale contre l’Angleterre et lui servir d’instrument pour amener la France à faire partie de cette combinaison ? Nous avons vu cependant qu’après plusieurs mois de correspondance, Guillaume II n’était pas parvenu à vaincre le sentiment de loyauté qui empêchait l’empereur Nicolas de signer le traité sans avoir, au préalable, obtenu l’adhésion de la France.

Le moment et le lieu étaient admirablement choisis pour