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de bonnes relations avec l’Allemagne, surtout afin d’améliorer le sort de la population danoise du Slesvig. Comment aurais-je pu, d’ailleurs, parler d’une attaque de la part de l’Angleterre et d’une occupation russo-allemande du Danemark, puisque j’ignorais tout des conversations qui avaient eu lieu à Bjorkoe ? De pareilles éventualités étaient, à mes yeux, absolument improbables.

Il y avait d’ailleurs une raison spéciale à ce que, de tous les diplomates accrédités à Copenhague, je fusse le moins suspect de pouvoir traiter légèrement la question de la neutralité du Danemark ou d’accepter l’idée d’une violation éventuelle de cette neutralité. On se rappelle que, pendant la guerre russo-japonaise, j’avais été appelé à assurer le passage de la flotte de l’amiral Rodjestvensky par le Grand Belt, c’est-à-dire par un détroit soumis à la souveraineté danoise : cela se passait avant les conventions de la Haye qui ont nettement réglé la question du passage des détroits neutres en temps de guerre. Le Japon mettait une grande insistance à détourner le gouvernement danois d’accorder le droit de passage à la flotte russe ou, au moins, de prêter à celle-ci l’assistance de ses pilotes brevetés. M’appuyant sur le précédent établi pendant la guerre de Crimée en faveur des flottes alliées de la France et de l’Angleterre, je réussis à obtenir les mêmes facilités, et d’autres plus grandes encore, pour la flotte russe. J’avais de cette manière contribué à établir un principe important de la jurisprudence internationale, celui de la libre navigation à travers les détroits neutres en temps de guerre, et il aurait été pour le moins illogique et étrange de ma part de discuter avec l’empereur Guillaume une violation éventuelle de ce principe. On verra d’ailleurs que, plus tard, comme ministre des Affaires étrangères, j’eus la constante préoccupation de préserver contre toute atteinte le statu quo dans la Baltique, c’est-à-dire, entre autres, l’inviolabilité du territoire du Danemark et le respect de ses droits de Puissance neutre.


Les pages qu’on vient de lire me paraissent éclairer d’une lumière suffisante l’ensemble de la situation internationale au moment où j’allais assumer la direction de la politique extérieure de la Russie.