du Temple. Ce fut une bonne fortune pour certains de ces hommes, peu accoutumés à une nourriture savamment préparée. Par prudence on ne servait à la fin du repas qu’une bouteille de liqueur pour toute l’assemblée ; mais le refus de quelques-uns avantageait les amateurs. Lepitre vit un jour le municipal Léchenard avaler d’un trait tout le contenu de la chopine avant de monter prendre sa garde dans l’antichambre de la Reine. Le lendemain son lit et le carreau de la pièce « déposaient de son intempérance. » Lorsque, à huit heures du matin, Marie-Antoinette ouvrit sa porte, elle recula épouvantée, criant à Madame Elisabeth : — « Ma sœur, ne sortez pas de votre chambre ! »
Ce fut sans doute un fait isolé ; pourtant, le bruit circula dans Paris qu’on faisait bonne chère à la table des commissaires et qu’ils s’y livraient à des libations de nature à compromettre leur dignité. Il y eut, en octobre 1792, l’affaire de l’Orgie du Temple, sur laquelle on n’est pas très renseigné : il semble établi que, sur la fin du souper, on souffla les lumières et qu’on alluma du punch ; que le limonadier fournissant de l’eau-de-vie se trouvait là « avec son épouse ; » qu’il se « déguisa la figure » et que le citoyen James, l’un des commissaires, géomètre et professeur d’anglais, mis en joie par cette petite fête, voulut jouer à saute-mouton et passa par-dessus la tête de son collègue Jérôme. L’Orgie du Temple causa un gros scandale ; mais Chaumette, déjà soucieux à cette époque de faire le silence sur tout ce qui se passait à la prison royale, proposa au Conseil général « d’enterrer l’affaire, qui n’était, selon lui, qu’un nouveau moyen de salir la Révolution. » Néanmoins, la tradition s’établit qu’on mangeait fort et bien à la table du Conseil du Temple : on y venait pour se régaler ; à la séance de la Commune du 28 novembre, Marino fulminait contre « certains membres de la Convention qui, envoyés dernièrement au Temple, se sont permis une bonne chère insultante ; — entre autres Gorsas, précisait-il, que j’ai vu moi-même se remplir la bedaine. » Déjà Manuel avait démocratiquement proposé de remplacer tout le service de bouche attaché à la prison « par une seule femme qui aurait mis chaque jour bourgeoisement le pot-au-feu, tant pour les prisonniers que pour leurs gardiens. Mais, à ce régime, la salle du Conseil aurait perdu son principal attrait, et l’on n’eût plus trouvé