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Quelles semaines de ripaille on allait faire dans ce riche pays ménagé par la guerre ! Cela durerait ce que cela pourrait, mais après, on pourrait signer. Il n’en coûterait ni plus ni moins, mais du moins on aurait eu du bon temps. Tel était l’état d’esprit qui régnait à l’Est de l’Oder, où l’on ne craignait pas l’arrivée des Alliés.

Au cours de la semaine eurent lieu quelques manifestations. Le 14, dans l’après-midi, un cortège socialiste-majoritaire parcourut quelques avenues en silence. Le soir du même jour, une manifestation plus bruyante fut montée par le parti militaire. Le 15, ce furent les écoles et les groupes nationalistes. On y vit arborer l’étendard du Kaiser. Le 16, ce fut le cortège des éprouvés de la guerre, en faveur de la paix. — Il fut reçu froidement par le Président du Reich, Ebert, à l’hôtel duquel aboutissaient toutes ces manifestations qu’il saluait inlassablement de discours intransigeants. Une campagne d’affiches et de brochures, en faveur de la résistance, était menée à grands frais. Les militaires, gradés, de plus en plus nombreux, étaient les plus excités. La ville avait un aspect de réaction accusé.

Mais, parmi les protestations deux sont particulièrement à signaler. Mieux que tous les discours, elles montrent à vif la mentalité allemande qui ne cessera jamais de nous étonner.

Le 24 mai, Helfferich prononçait à la Chambre de commerce de Berlin un violent discours contre les conditions économiques du traité. Il osait, lui qui, Ministre des Finances en 1916, avait déclaré, aux applaudissements unanimes du Reichstag : « L’Empire saura faire trainer des années aux peuples vaincus, le boulet des milliards de l’indemnité de guerre ! » Ainsi, cet ancien porte-parole de la rapacité germanique, avait l’impudence de rappeler par sa présence ces menaces inconsidérées.

Quelques jours plus tard, c’étaient les Universités allemandes qui, dans un manifeste enflammé, se dressaient contre les conditions de paix, en tant que « gardiennes de la civilisation et de la morale, défenseurs de la vérité et de la justice, protagonistes du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. » On croit rêver ! La presse raisonnable allemande en fut elle-même écœurée. Elle rappelle que tous ces docteurs, professeurs, avaient été tout le long de la guerre les annexionnistes les plus forcenés. Oui, c’étaient les mêmes hommes, rédacteurs en 1914 du fameux manifeste des 93, ce monument d’imposture, qui