Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/933

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

antérieur, du statut qui garantit leurs fonctionnaires (tous leurs fonctionnaires, et non pas seulement comme en France les magistrats et les professeurs) contre les décisions arbitraires des bureaux administratifs, le maintien de la procédure civile actuellement en usage, du livre foncier, de certaines institutions commerciales dont ils sont satisfaits et qu’ils souhaitent à leurs nouveaux compatriotes de leur emprunter. Ils demandent aussi que les erreurs commises soient réparées, et d’abord que ceux d’entre eux dont la langue est l’allemand ne soient plus traités en citoyens inférieurs, exclus des fonctions de juré, obligés de se faire assister d’un interprète devant les tribunaux comme s’ils étaient des étrangers. M. Schuman a grand soin d’ajouter que ni lui ni ses amis ne songent à porter atteinte à l’unité nationale : « Toutes les lois, dit-il, se faisant à Paris où siégeront également les chefs du pouvoir exécutif, il ne saurait être question ni d’autonomie ni de fédéralisme. Nous ne voulons pas faire de l’Alsace ou de la Lorraine un État dans l’État. Ce que nous désirons, c’est que les lois et l’administration qu’on nous donnera tiennent compte, dans la mesure la plus large possible, de notre particularisme qui, d’après la parole de M. Millerand, nous a permis de nous conserver à la France. La République est une et indivisible, mais elle ne doit pas être uniforme. La démocratie bien comprise a des formes souples ; non seulement elle respecte la liberté individuelle, mais elle favorise les libertés régionales. Nous demandons pour nous et pour la France entière l’organisation d’un régime où nos provinces, suivant la formule de M. Clemenceau, renaîtraient à la vie d’une expansion indépendante. La Lorraine vient de donner à la France une preuve éclatante de son attachement et de sa confiance. Il serait sage que la France répondit à cette confiance par une confiance égale, qu’elle ne se crût pas tenue, par vain souci d’uniformité, à violenter des cœurs qui s’ouvrent à elle. Les Lorrains sont convaincus qu’en défendant leurs traditions propres « au sein de la grande famille reconstituée, » qu’en se faisant les champions d’un régionalisme réfléchi, ils servent, en même temps que leurs intérêts, ceux de la patrie. Plus d’un Français, nous l’espérons, pensera comme eux.


PIERRE BRAUN.