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encore de ce sujet ; le premier ministre d’Italie a quitté Rome pour participer à leur conversation ; toutes ces réunions donnent bien une idée de la difficulté des problèmes, mais non de leur solution. En Russie les alliés paraissent décidés à une politique d’attente ; ils éprouvent une profonde tristesse en constatant que les souffrances de la nation russe se prolongent, mais ils considèrent qu’aucun gouvernement n’est à l’heure présente qualifié pour traiter au nom de la Russie. Les bolchévistes pendant ce temps fortifient leur pouvoir ; l’armée rouge progresse ; la dictature du gouvernement de Lénine, au prix de terribles batailles, de massacres et de pillages, s’étend. On a pu croire, il y a quelques mois, que les armées de l’amiral Koltchak et de Denikine avaient peut-être chance de porter un coup à la puissance bolchéviste et de favoriser l’installation d’un gouvernement national. C’est le contraire qui est arrivé. Denikine est rejeté vers la Mer-Noire, et tout ce qu’il pourra faire, ce sera de se maintenir en Grimée. Koltchak est en pleine retraite, il a dû évacuer Omsk et il est repoussé jusque vers l’Iénisséi. Ce n’est pas la première fois depuis un an que les armées bolchévistes et anti-bolchévistes font beaucoup de chemin, tantôt dans un sens et tantôt dans un autre. Mais l’ampleur du mouvement oblige à penser que l’armée rouge dispose d’une force d’organisation réelle, et si singulier que le phénomène paraisse, elle profite de la présence dans ses rangs d’un certain nombre d’officiers de l’ancienne armée russe qui, bon gré mal gré, ont repris du service. Si les bolchévistes continuent leur avance et maintiennent leurs succès, quelle sera la situation au printemps ? Même s’ils apparaissent comme une force victorieuse, les bolchévistes ne s’attarderont pas à réaliser leur programme qui est irréalisable : . mais comme il leur faudra faire quelque chose, occuper leur force, avoir une politique, le moment est venu pour les Alliés de réfléchir à ce que Lénine pourra tenter. La Pologne et la Roumanie se sentent menacées ; la Sibérie, inquiète, compte sur des renforts japonais. Il est possible que le bolchévisme, entouré presque de toutes parts, essaie de se donner de l’air et profite de sa situation centrale pour attaquer l’un ou l’autre des États qui forment autour de lui une ceinture. Il est possible aussi que, laissant là ces États organisés, pourvus d’une armée, et défendus contre la propagande révolutionnaire par leur patriotisme, il use de sa situation sur la Mer-Noire et se tourne du côté des populations musulmanes de l’Asie : ce ne serait pas pour l’Europe la politique la moins grave.