Ajoutez à cela que nous étions correspondants de diverses Académies, et docteurs honoris causa de quelques universités. De plus, Fredericq était l’une des personnalités les plus en vue du mouvement flamand, et une traduction de mon Histoire de Belgique paraissait chez Perthes à Gotha, dans la collection intitulée : Geschichte der Europäischen Staaten. De tout cela, l’outrecuidance naïve des Allemands, des érudits allemands surtout, a dû conclure que nous devions être, au fond, l’un et l’autre, des adeptes du germanisme et des admirateurs de l’Allemagne nouvelle. Comment des gens convaincus de la supériorité de leur nation sur le reste du monde, auraient-ils pu admettre qu’il ne suffisait pas d’avoir témoigné quelque estime à des étrangers pour qu’ils leur fussent désormais tout acquis ! N’ai-je pas entendu plus tard, à Iéna, des professeurs d’université déclamer rageusement contre M. Boutroux parce que, invité et reçu officiellement par eux au mois de mai 1914, il avait eu, quelques mois plus tard, l’audace et l’ « ingratitude » de stigmatiser dans la Revue la barbarie de leurs armées et la duplicité de leur gouvernement ? Et ne sait-on pas quels cris de colère à la fois comique et odieuse la presse d’outre-Rhin, jadis si enthousiaste de Verhaeren et de Maeterlinck, a poussés contre eux, du jour où le martyre de la Belgique leur a arraché les brûlantes protestations que l’on sait. Dans un rang plus modeste, notre cas a été le même. Sur nous aussi, on croyait pouvoir compter, puisque nous avions-eu l’honneur de frayer d’égal à égal avec les représentants de la Science et de la Kultur allemande, c’est-à-dire avec les représentants de la Science et de la Kultur en soi. Et au moment décisif, nous les trahissions ! Trahison d’autant plus grave que nous étions Belges et historiens !
L’indignation universelle soulevée par la violation de la neutralité belge avait, en effet, surpris les historiens allemands, mais elle les avait en même temps mobilisés au service du militarisme prussien. Il fallait démontrer que ce « petit pays » qui faisait pousser tant de clameurs, n’avait en réalité nul droit à l’existence, qu’il n’était qu’un « Etat artificiel, » que la juxtaposition de deux races, dont l’une, la wallonne, opprimait l’autre, la flamande, grâce à la complicité d’un gouvernement d’ambitieux indignes vendus à l’Angleterre et à la France. Je ne vais pas jusqu’à supposer que l’on ait compté sur nous