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SOUVENIRS DE CAPTIVITÉ EN ALLEMAGNE.

s’était organisé. Grâce aux envois des Comités qui de toutes parts veillaient de loin sur les prisonniers, le régime alimentaire était devenu tolérable. On avait reçu des vêtements, des médicaments, des livres. L’initiative privée s’était ingéniée de mille manières. Des étudiants français avaient fait construire à leurs frais une petite baraque, « l’Université, » dans laquelle des professeurs, des ingénieurs faisaient des cours, et qui abritait une bibliothèque, dont un relieur bruxellois reliait les volumes. Des bureaux de bienfaisance s’étaient constitués. On avait créé des écoles pour les enfants. Des cafés et même des restaurants s’étaient ouverts. Des prêtres catholiques avaient installé une chapelle dans la baraque qu’ils habitaient, et sa pauvreté lui donnait un aspect si touchant ! Des Belges avaient aménagé une place vide en jeu de balle ; ailleurs on rencontrait des jeux de quilles, un jeu de boules, assidûment fréquenté par les Français du Nord. Cependant le sport était peu pratiqué. L’espace manquait, et surtout la force physique, déprimée chez tous par la captivité et le manque d’exercice.

Peu de rapports, au surplus, avec les Allemands. Le général qui commandait le camp ne se montrait guère. Il laissait son subordonné, le major Wikop, officier de réserve, brutal et grossier, agir à sa place et s’acquitter d’une besogne qui, disait-on, lui répugnait. Sous la surveillance de ce Wikop, fonctionnait une organisation assez simple, et dont les agents étaient recrutés parmi les prisonniers eux-mêmes. Il y avait un « chef de camp, » des « chefs de district » et des « chefs de baraque, » responsables de la discipline. C’est avec eux que les prisonniers se trouvaient en rapports. Tous les soirs paraissait un bulletin contenant les ordres et règlements pour le lendemain. Ils étaient rédigés en allemand et en français, — le français étant, ici comme à Crefeld, la seule langue étrangère employée par les Allemands pour les communications aux prisonniers. La police seule était confiée à des soldats et à des Feldwebels. Et ils l’exerçaient sans aménité. Constamment des perquisitions étaient opérées dans les baraques, des correspondances saisies et les « coupables » envoyés au cachot pour un ou plusieurs jours. Ces châtiments étaient monnaie courante. Que de fois j’ai lu, affiché sur la porte de l’« Université, » cet avis : « Le cours de M. X... ne se fera pas aujourd’hui, le professeur étant en prison. »