Je me souviens d’un dominicain français, le Père D..., chez lequel on avait découvert une dissertation, écrite en latin scolastique, et que l’on eût pu prendre pour une fantaisie due à quelque étudiant du moyen âge : Cur Gennani sint superporci. Grand émoi à la Kommandantur du camp. Personne n’y comprenait le latin. On eut recours à la science d’un professeur du gymnase de la ville de Holzminden, et, quelques jours plus tard, le Père D..., mis en présence de la traduction de son œuvre, en reconnut volontiers l’exactitude. Le crime était abominable, si abominable que le général et le major signifièrent à l’inculpé qu’un tel forfait ne pouvait avoir été perpétré par un homme raisonnable. Il était fou, et fou tellement dangereux qu’il devait être à l’instant colloqué dans la baraque spécialement affectée aux malheureux que le régime du camp et la captivité poussaient parfois à la démence. Et, en effet, on lui infligea ce supplice. Je ne sais combien de temps il s’est prolongé. Plusieurs semaines plus tard, quand je quittai le camp, il durait encore.
La Kommandantur fut très fière sans doute de l’esprit qu’elle déploya en cette conjoncture. Un conflit qu’elle eut, vers la même date, avec le bureau de bienfaisance belge, lui réussit moins bien. Jusqu’alors, le Comité de ce bureau s’était recruté lui-même. Un beau jour, nous fûmes avertis que notre gestion était scandaleuse, et que de toutes parts des plaintes s’élevaient contre elle. Le major vint nous expulser et fermer la porte de notre local. Nous demandâmes une enquête. Elle ne révéla aucun grief. Pourtant ordre fut donné de remplacer l’ancien Comité et de procéder à une élection à laquelle participeraient tous les Belges du camp. Faire voter des Belges et se figurer qu’ils n’allaient pas profiter aussitôt de l’occasion, l’idée était plaisante ! Un petit meeting eut lieu dans chaque baraque. Les ex-membres du Comité s’étaient naturellement abstenus de poser leur candidature. Tous furent réélus et passèrent, comme on dit chez nous, « en tête de liste. » Fureur comique de la Kommandantur. Elle ne chercha pas à cacher son dépit. En réalité, elle n’avait voulu qu’écarter de la gestion du bureau M. Lampens, échevin de la ville de Gand et député aux Chambres belges, et M. Waleffe, juge d’instruction à Liège, qui, l’un et l’autre, après avoir purgé une honorable condamnation en prison cellulaire, venaient d’être internés au camp.