Les auditeurs s’écrasaient, les uns juchés sur des carrés de couchage empilés dans un coin de la baraque servant de salle de cours, les autres massés sur des bancs ou debout, le long des cloisons de planches. Quelques-uns se groupaient à l’extérieur devant les fenêtres ouvertes. Au dedans, une chaleur étouffante tombait du toit de carton goudronné. Des milliers de puces jaillissaient de partout, scintillant au soleil comme les gouttelettes d’un arrosage très fin. Je m’imaginais parfois les entendre, tant le silence était profond de tous ces hommes écoutant l’un des leurs parler de leur pays absent et rappeler tant de catastrophes qu’il avait subies et surmontées.
Sans doute, l’affluence du public inquiéta la Kommandantur. L’ordre me fut un jour intimé d’avoir à cesser mon enseignement. Je protestai naturellement contre une mesure qui, de tous les professeurs du camp, n’atteignait que moi. Je remis au général un mémoire qu’il promit d’envoyer à Berlin et une interminable correspondance s’engagea aussitôt. Je dus fournir, durant quinze jours, des notes, des rapports, des explications de toute espèce. Bref, l’autorisation de reprendre mes leçons arriva enfin. Mais je dus m’engager à remettre la veille au bureau du camp, le sommaire de la leçon du lendemain et à subir la présence dans l’auditoire de deux ou trois soldats connaissant la langue française. Il faut croire que ces soldats prirent goût à la censure dont ils étaient chargés. Leur nombre monta bientôt à une douzaine et la plupart d’entre eux, après chaque leçon, me posaient des questions comme eussent fait de bons élèves. Ils tenaient tellement à ne rien perdre qu’un jour, comme j’avais commencé à parler deux minutes avant leur arrivée, ils me dénoncèrent au major, devant lequel j’eus à comparaître. Le cas était grave : il en fut fait rapport, et peu s’en fallut que mes cours ne fussent suspendus une fois de plus.
Depuis mon transfert de Crefeld à Holzminden, je ne doutais plus que je ne fusse destiné à demeurer en Allemagne jusqu’à la conclusion de la paix. L’occasion me fut bientôt donnée de m’assurer que je ne me trompais pas. Quelques semaines après mon arrivée au camp, des médecins allemands vinrent examiner les prisonniers se croyant assez malades pour devoir être internés en Suisse, Par curiosité, je me présentai à la visite, et ma surprise fut grande en apprenant le soir que j’étais inscrit sur la liste des partants. D’où me venait cette faveur ? Les médecins m’avaient