à peine ausculté, ne m’avaient posé aucune question et ma santé ne laissait rien à désirer. Peut-être le général souhaitait-il se débarrasser de moi et leur avait-il fait part de ce souhait. Quoi qu’il en soit, j’étais absolument sûr qu’il ne se réaliserait pas. Quand, après une longue série de formalités, un Feldwebel vint me remettre un billet de chemin de fer pour Constance, avec l’ordre d’avoir à préparer mes bagages pour le lendemain, je ne bougeai pas, et bien m’en prit Au milieu de la nuit, je fus brusquement réveillé par un soldat. Il m’apportait de la part du généra ! la copie d’une dépêche conçue avec une précision toute militaire : Professor Pirenne bleibt, le professeur Pirenne reste., Avec un sourire, je rendis mon billet de chemin de fer et je me rendormis. On devait pourtant me croire malade, puisque j’avais été désigné pour le départ, et néanmoins on me retenait...
Cependant notre arrestation faisait dans la presse, tant chez les Alliés que dans les pays neutres, un bruit extraordinaire. Des légendes se formaient : on nous attribuait à l’un et à l’autre des « mots historiques » au cours d’une entrevue imaginaire avec von Bissing. Le respect dont l’Allemagne s’était toujours targuée pour la liberté scientifique, et l’impossibilité où elle se trouvait de justifier la mesure prise à notre égard, sans être obligée de dévoiler prématurément ses desseins sur la Flandre et la Belgique, la mettaient en mauvaise posture et donnaient beau jeu aux protestataires.
Nous étions loin de nous douter de l’émotion que nous provoquions au dehors. Des communiqués embarrassés parus dans les journaux allemands nous apprenaient cependant qu’il se passait quelque chose. Je lisais dans la Gazette de Cologne que l’Académie d’Amsterdam s’était adressée aux Académies allemandes pour les prier d’appuyer sa proposition de nous faire interner en Hollande. Nous sûmes plus tard que des professeurs américains avaient offert de nous recueillir l’un à l’Université de Princeton, l’autre à celle de Yale, et que le Pape et le roi d’Espagne s’étaient intéressés à notre sort. A Bruxelles, au mois de juin 1919, le président Wilson me fit l’honneur de me raconter qu’il avait lui-même écrit deux fois en notre faveur à l’empereur d’Allemagne, sans en obtenir d’autre réponse qu’un refus laconique.
Tout cela était évidemment très désagréable. Que de bruit