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pour rien ! Quelle insistance déplacée à demander à « Messieurs les militaires » les raisons d’une chose aussi simple que la déportation de deux civils ! Et quand même ils se fussent trompés ! Ne comprenait-on pas qu’il leur était impossible de revenir sur une décision prise, que leur prestige était en jeu et qu’il fallait faire le silence sur cette sotte affaire ? La presse allemande reçut l’ordre de se taire, elle obéit. On espérait calmer l’agitation du dehors en n’y répondant pas. Elle ne devint que plus vive. Des amis même de l’Allemagne s’adressèrent à von Bissing pour lui demander de les mettre à même de calmer les protestations qui s’élevaient autour d’eux. J’ai lu plus tard dans le livre si exactement documenté que M. le professeur Ch. Nyrop de Copenhague a consacré à notre arrestation, la réponse du pauvre gouverneur à un membre de l’Académie de Stockholm qui le pressait de lui fournir des renseignements. L’intervention du savant suédois s’explique par la circonstance que l’Académie suédoise m’avait élu membre associé le 6 avril 1915. Il avait été impossible de me transmettre cette nouvelle à Gand. Elle me parvint à Holzminden par l’intermédiaire de l’ambassade suédoise à Berlin. L’impression que la lettre officielle de l’ambassadeur produisit à la Kommandantur fut assez amusante. Le règlement du camp ne permettait aux prisonniers que d’écrire au crayon sur un papier à lettres spécial, pourvu d’indications qui semblèrent probablement indignes d’être placées sous les yeux d’un ambassadeur. On s’empressa de me fournir, pour ma réponse, une superbe feuille immaculée de papier ministre, de l’encre et une plume.

Ma femme eut à pâtir de l’émoi que nous avions provoqué sans nous en douter. Sa santé était assez ébranlée, et elle avait sollicité l’autorisation de passer quelques semaines en Suisse pour y reprendre des forces. L’autorisation en était parfois accordée à des malades. On la lui refusa obstinément, et comme elle insistait : « Mais ne comprenez-vous donc pas. Madame, s’exclama le docteur Heitz, chef de la police allemande à Gand, qu’à peine arrivée en Suisse, les journalistes se jetteront sur vous comme sur une proie ! »

Si les infaillibles militaires qui nous avaient envoyés en Allemagne étaient décidés à prouver leur toute-puissance en nous conservant sous leur coupe, ils finirent pourtant par s’agacer des commentaires assez peu flatteurs que la presse