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inexactitude : il répète un racontar d’après lequel M. Stolypine aurait été guéri par Raspoutine du choc nerveux que lui aurait causé l’explosion du 25 août. Je puis certifier que cet événement laissa M. Stolypine absolument calme et maître de lui-même, et qu’il n’eut jamais l’idée, ni à cette occasion, ni à aucune autre, de s’adresser au thaumaturge sur le compte duquel il s’exprimait toujours avec la plus profonde aversion.

Je dois aussi faire toutes mes réserves au sujet d’une assertion du docteur Dillon. D’après lui, ce serait sur le conseil de Raspoutine que l’empereur Nicolas II résista, lors des événements balkaniques de 1912, aux assauts de ceux qui le poussaient à la guerre ; l’auteur ne fait évidemment que répéter une version qui m’avait déjà été donnée par le comte Witte et qui ne me paraît guère plausible.

J’ai déjà parlé du profond sentiment religieux qui était la base de la vie morale de l’Empereur ; comment et par quels degrés ce sentiment qui, dans les débuts, ne pouvait inspirer que respect et sympathie, se transforma-t-il au point de revêtir les formes d’une grossière superstition et d’une sujétion complète au singulier prophète qu’était Raspoutine, c’est ce qu’il ne m’a pas été donné d’observer personnellement. Pour ma part, je ne puis expliquer cette évolution que par l’influence de tous les instants exercée sur lui par une nature plus forte que la sienne, celle de l’impératrice Alexandra dont l’exaltation mystique tenait certainement à des causes pathologiques. Pour juger d’un pareil cas, il ne suffit pas d’être un observateur attentif, il faut encore posséder des lumières spéciales, auxquelles je ne prétends guère, sur les phénomènes encore si obscurs de la contagion morale et de la suggestion.

Il n’est pas moins difficile, surtout pour des esprits occidentaux, de discerner les causes complexes de l’action extraordinaire qu’un Raspoutine a pu exercer non seulement sur des natures particulièrement aptes à la subir, comme celle de l’empereur Nicolas et de l’impératrice Alexandra, mais, à des degrés différents, — plusieurs témoins en font foi, — sur la plupart de ceux qui l’ont approché. Cette action ne saurait, à mon avis, être expliquée uniquement par les facultés hypnotiques dont il aurait été doué dans une mesure exceptionnelle. Pour comprendre ce phénomène, il est nécessaire de connaître les différents courants religieux et mystiques qui se sont fait sentir,