sens qu’il donnait aux mots honneur, droit, justice, loyauté, différait de celui où nous sommes accoutumés de les prendre !
J’essayai plus d’une fois de détourner la conversation sur la politique intérieure de l’Allemagne. Ce ne fut que pour me convaincre que M. C... l’ignorait aussi complètement qu’il s’y intéressait peu. Du mouvement socialiste, par exemple, il me parut ne connaître que ce qu’il avait lu dans quelques articles de la presse nationale-libérale ou conservatrice. Je m’interdis naturellement de juger d’après lui tous ses collègues. Une chose pourtant est certaine, dont j’eus l’occasion de me persuader peu à peu, à ma grande surprise : c’est que, sauf d’infimes exceptions, le corps professoral des universités se recrute entièrement dans les partis politiques gouvernementaux. Cette fameuse liberté académique, cette autonomie universitaire que nous admirions si bénévolement avant la guerre, ne sont, au fond, que des trompe-l’œil. En fait, elles n’existent qu’au profit d’une coterie d’érudits que l’on pourrait qualifier de savants officiels. Le choix des Facultés n’a garde de se porter, quel que soit leur mérite, sur des hommes suspects à l’État, et c’est bien pour cela que l’État les laisse jouir d’une indépendance dont il sait fort bien qu’il n’a pas à craindre qu’elles abusent jamais.
En somme, la séparation est bien plus profonde en Allemagne que dans les pays occidentaux entre le personnel du haut enseignement, exclusivement recruté parmi des conservateurs plus ou moins authentiques, et le reste de la nation. Il y a là certainement une survivance curieuse de l’ancien régime. La modernité des méthodes employées ne doit pas faire illusion sur ce point, il en est un peu de tous les agents de l’État allemand, comme de Bismarck. Ils sont au fond étrangers à ce que nous considérons comme l’essentiel de la civilisation contemporaine. Ils ne cherchent pas à conduire la nation, mais à la dominer, à lui imposer de haut, et par la discipline, la voie qu’elle doit suivre. Tout est organisé pour que, du haut en bas, chaque citoyen soit formé dès l’enfance au service de l’État. L’école primaire, le gymnase, l’université se passent les élèves comme un « assortiment » de machines se passe la laine à carder. Un système d’opérations pédagogiques méthodiquement combinées livre à la fin le produit achevé. La caserne obligatoire y ajoute le dernier fini.