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Les conséquences d’un tel dressage se sont clairement révélées pendant la guerre. Avant elle, on en admirait seulement l’impeccable rendement. On enviait à l’Allemagne le bel ordre, le zèle, la compétence, l’activité de son administration dans tous les domaines. On cherchait même gauchement à imiter ou plutôt à contrefaire ses méthodes. Brusquement la grande crise qui a secoué le monde a dévoilé leur faiblesse. On s’est aperçu que tous ces hommes si merveilleusement préparés à leur tâche, si bien subordonnés les uns aux autres, si admirablement rompus à recevoir et à transmettre des ordres, manquaient lamentablement d’initiative et de personnalité. On avait anéanti chez chacun d’eux, à force de dressage, le ressort de la spontanéité.

Combien de fois n’ai-je pas lu, durant ma captivité, des lamentations sur l’insuffisance de la diplomatie allemande. « Unsere Diplomatie hat versagt. » Tel était le Leitmotiv de la presse et le gémissement de tous ceux que décevaient les événements. Hélas ! c’était l’ensemble du système qui avait failli. Au moment décisif, chanceliers, ministres, fonctionnaires et Reichstag, tous se montrèrent incapables de diriger la tourmente qu’ils avaient déchaînée. Elle les déroutait parce qu’elle ne se développait pas suivant leurs prévisions. Devant l’imprévu, ils se sentaient impuissants, et une crainte vague commençait à se glisser dans leurs cœurs...

Ils cherchaient à se tromper eux-mêmes en s’exagérant volontairement leur force et la faiblesse de leurs adversaires ; mais leur inquiétude était visible. Elle était éparse dans l’air quand nous arrivâmes à Iéna, et on le remarquait à la tristesse générale, à l’évidente préoccupation du bourgmestre, auquel nous devions nous présenter tous les deux jours. Elle se trahissait dans les questions qu’il nous posait, dans les exclamations qui lui échappaient devant nous. L’annonce même des victoires en Roumanie ne calmait pas les angoisses publiques. On pavoisait par ordre, on sonnait les cloches des églises, mais dans les rues les visages restaient mornes sous l’influence de l’idée fixe qui désormais rongeait toutes les âmes. Wozu denn das ? Pourquoi donc tout cela ? c’est-à-dire toutes ces horreurs et toutes ces souffrances, s’était un jour écrié le docteur Fuchs en notre présence. La réponse que nous lui fîmes était trop simple. Il ne la releva pas, mais il était