convention et la tradition, sur la liberté de la pensée et la conscience individuelle. Il ramenait d’ailleurs l’histoire du monde au protestantisme, et le protestantisme était germanique.
« Pourtant, Calvin ! lui objectai-je un jour. — Calvin, fil-il, c’est Luther adapté à l’esprit roman. — Pourquoi donc, lui demandai-je, cette adaptation romane de la Réforme a-t-elle été acceptée par tant de peuples germaniques ? Car enfin, les Hollandais, les Anglais... — Oh ! les Anglais, répliqua-t-il aussitôt, ce sont des Celtes. » Je me rappelai qu’en effet, depuis le commencement de la guerre, l’Angleterre était tout à coup devenue celtique... L’ethnographie politique a de ces complaisants retours. N’ai-je pas lu, quelques semaines plus tard, dans le journal, l’analyse d’une dissertation démontrant l’origine germanique des Bulgares !
Une autre fois, la conversation tomba sur la liberté politique. Elle aussi était l’apanage des Germains. Luther en avait donné la vraie formule, formule incompréhensible, il est vrai, pour les étrangers, « Au fond, ajoutai-je, c’est que probablement cette notion de la liberté est faite pour des gens qui ne sont libres que d’assez fraîche date. Chez nous, le servage est aboli depuis le XIIIe siècle : il existait encore en Allemagne au commencement du XIXe. Pour des gens accoutumés à la liberté depuis 600 ans et ceux dont le grand’père a peut-être été corvéable d’un seigneur, et attaché à la glèbe, les mots n’ont pas le même sens, et il est difficile de tomber d’accord. » Mon interlocuteur me regarda avec étonnement. Il se demandait sans doute si j’étais sérieux. Je l’étais extrêmement. Plus je m’initiais à l’Allemagne et plus clairement il m’apparaissait que sa discipline, son esprit d’obéissance, son militarisme, son manque d’intelligence et d’aptitudes politiques trouvent en grande partie leur explication dans cette renaissance du servage que le XVIe siècle a vu s’y accomplir. Il y a là entre elle et les pays occidentaux, une différence foncière et radicale. Sans le servage à peu près général des populations rurales à l’Est de l’Elbe, le Luthéranisme aurait-il pu se répandre comme il l’a fait, et l’organisation de l’État prussien serait-elle concevable ? Et n’est-il pas caractéristique que la région rhénane, épargnée par ce renouveau du servage, soit demeurée catholique et n’ait accepté que fort tard le joug de la Prusse ? Sans doute, il ne faut point exagérer la portée de cette remarque. Il importe