Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/858

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
854
REVUE DES DEUX MONDES.

et avec quelle joie, sur les communiqués de l’État-major, de nouveaux progrès des Alliés. Pourtant l’hiver était proche. Je n’osais m’attendre à une prompte victoire, et je m’effrayais un peu de la perspective d’un exil peut-être assez long encore pour mes chers compagnons. Je m’imaginais que l’Allemagne acculée tiendrait jusqu’à l’année suivante. Je savais très bien que le peuple, tout démoralisé qu’il fût, ne se soulèverait pas. Et l’idée qu’une insurrection militaire fût possible ne s’était jamais présentée à mon esprit. Je m’étais laissé tromper par les apparences. Je me rappelle un incendie de bruyères dont j’avais été témoin en 1911 aux environs de Spa. On ne se doutait de rien, quand le feu qui couvait dans le sol gagna la surface. Une fumée bleuâtre flotta sur la « fagne. » Puis, tout à coup, on vit les sapinières, brûlées aux racines, s’enflammer subitement, et les arbres s’abattre les uns sur les autres dans un jaillissement de flammes.

Nous eûmes bientôt l’occasion de constater la force et la généralité de l’incendie qui embrasait l’Allemagne. Il eut tôt fait de gagner la Thuringe. Nous pûmes apercevoir le 9 novembre le drapeau rouge flottant sur la Wartburg, la vieille forteresse des Landgraves de Thuringe qui domine Eisenach.

On nous raconta que des soldats avaient en pleine rue arraché les épaulettes aux officiers et que le commandant de la garnison, le colonel von Schimmelpenninck, vieux militaire pangermaniste, avait été emprisonné par eux. Le surlendemain matin, des automobiles décorées de branches de sapin et de banderoles rouges arrivaient à Creuzburg. Un meeting réunissait les soldats en congé avec quelques ouvriers et un Arbeiter und Soldatenrat était constitué sur-le-champ. Une délégation monta à l’Hôtel de Ville. Les soldats qui la conduisaient avaient remplacé à leur casquette la cocarde de l’Empire par une cocarde rouge. Des pourparlers s’engagèrent avec le bourgmestre, et, au bout d’une demi-heure, le nouvel ordre de choses était établi : le bourgmestre consentit aussitôt, de la meilleure grâce du monde, à continuer ses fonctions, sous la surveillance du comité révolutionnaire, et à arborer le drapeau rouge au Raihaus. Comme il fut impossible de se procurer un drapeau de ce genre, on le remplaça par le drapeau de Weimar cravaté d’une ceinture écarlate.

Ce qui me frappa le plus dans cette « révolution, » ce fut son