calme absolu. Pas un cri, pas un curieux dans les rues, pas l’ombre d’agitation. Le peuple s’abandonnait à l’autorité nouvelle avec la même passivité qui lui avait fait supporter l’autorité ancienne. Des gens en place, pas un ne protesta. Le petit groupe pangermaniste des honoratioren, le super-intendant, le recteur, le secrétaire de la poste, acceptèrent docilement le triomphe d’un régime qu’ils ne pouvaient admettre sans renier tous les principes qu’ils avaient professés jusqu’alors. J’appris que nulle part, dans le grand-duché, aucun fonctionnaire n’avait donné sa démission ou ne s’était fait expulser par la force. Toute l’administration monarchique continuait imperturbablement à fonctionner au profit de la république.
Il me fut bientôt donné d’assister à un spectacle plus étonnant encore. La révolution avait acculé l’Allemagne à une paix immédiate. Hertling donnait sa démission, et le prince de Bade, flanqué d’un ministère d’occasion, acceptait la tâche de conduire le deuil de l’Empire fondé par Bismarck et Guillaume Ier. Avec cette naïveté dont aucune manifestation ne pouvait plus m’étonner après tant d’expériences, chacun s’attendait à voir l’Entente mettre aussitôt la main dans celle de ce figurant et conclure avec empressement et presque avec cordialité un confortable traité de réconciliation sur la base du statu quo. On ne parlait plus que des « 14 points de Wilson. » Subitement, ils étaient devenus le Credo universel. C’était la sagesse même. Au fond, l’Allemagne n’avait jamais rien voulu d’autre. Ne proclamaient-ils pas la liberté des mers et les droits sacrés de tous les peuples ? D’annexions, il semblait qu’il n’eût jamais été question. La paix allait se faire, rendant à chacun ce qu’il possédait en 1914, et ce serait la fraternisation générale sans humiliation pour personne et sans indemnité pour l’Allemagne. A vrai dire, les « 14 points » semblaient exiger l’abdication de l’empereur. Eh bien ! l’empereur abdiquerait. L’idée ne venait à personne que cela fût une humiliation ni pour lui ni pour le peuple. Personne surtout ne s’avisa qu’il eût pu mourir les armes à la main et chercher au moins à tomber en soldat. La nouvelle de sa fuite en Hollande parut la chose la plus simple du monde.
A cela, je l’avoue, je ne m’étais point attendu. Que l’on oubliât les horreurs d’une guerre voulue par l’Allemagne, la barbarie avec laquelle on l’avait menée, la dévastation systématique