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vendu au profit des indigents et qu’il sera fourni « à la femme Élisabeth un dé de cuivre ou d’ivoire. » Du petit Roi, nul ne fait mention. Une fois cependant, — c’était après la mort de Chaumette et d’Hébert, — des municipaux dénoncent leur collègue Crescend ; « il s’est présenté très souvent pour être de service au Temple, quoique son tour ne soit pas venu, et il s’est apitoyé sur le sort de Charles Capet, » prétendant que « cet enfant est mal élevé. » Crescend est aussitôt expulsé du Conseil et « envoyé à la police. » Et voilà un incident déconcertant : les Commissaires ne se contentent donc pas de jeter par le judas un coup d’œil au prisonnier cadenassé dans son taudis ; ils l’approchent ; ils causent avec lui ; il leur répond puisqu’ils peuvent juger de sa mauvaise éducation ? Et pourquoi Crescend ne dit-il mot ? L’occasion est belle pourtant de dévoiler l’horrible infection du cachot, le déplorable état du « louveteau, » « crasseux, rongé de vermine et disputant aux rats le pain qu’on lui jette. » Personne n’oserait préconiser le prolongement d’un si sordide supplice ; d’autant que Chaumette n’est plus là pour détourner la discussion. L’Hôtel de Ville a perdu en lui son pitre et son prédicateur favori : un nouveau venu, austère et grave, remplace Anaxagoras au Parquet : c’est Payan, un protégé de Robespierre, Payan qui, né d’une famille honorable et aisée de la Drôme, est venu de sa province pour servir la Révolution, d’abord en qualité de secrétaire du Comité de Salut public, puis de juré au Tribunal révolutionnaire : le voilà maintenant, agent national de la Commune et, sous son impulsion, celle-ci, soigneusement recrutée, va se faire désormais, avec une souplesse notoire, l’instrument docile de l’Incorruptible. Par elle, Robespierre sera donc le maître du Temple plus encore que ne l’a été Chaumette : n’est-il pas, d’ailleurs, en ce printemps de l’an II, maître de toute la France ? Il commande au Comité de Salut public ; on l’acclame à la Convention ; il a terrassé tout ce qui le gênait ou lui faisait obstacle, Girondins, Hébertistes, Dantonistes, les réacteurs comme les exagérés, pour parler le jargon du temps ; et l’on est d’accord avec ses panégyristes en affirmant que, libre enfin d’orienter à son gré sa politique, il incline maintenant vers la modération et cherche, à fixer sur une base indestructible les conquêtes de la Révolution.

On aurait mine de forcer le paradoxe en insinuant que