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Robespierre, à cette époque de son apogée, préméditait un retour à la royauté constitutionnelle ; mais que rêvait il ? On ne le sait pas : à coup sûr, il rêve quelque chose : le soin qu’il apporte à s’entourer de gens dévoués, sa recherche continuelle de patriotes « ayant des talents plus ou moins, » l’aversion, de jour en jour plus accentuée, qu’il professe pour les politiciens compromis ou corrompus, son besoin d’être renseigné par des policiers à sa dévotion, ses manifestations déistes contrastant volontairement avec les dévergondages sacrilèges des sectateurs de la Raison, tout indique qu’il prépare une évolution : il n’ignore pas que le peuple, las de sang, de misère, de discours et de désordre, acclamera l’homme assez influent et assez hardi pour clore la Terreur, assurer la paix et rendre à la France sa quiétude abolie. En politique avisé et réfléchi, Robespierre ne pouvait se désintéresser plus que bien d’autres du petit Roi que l’on croyait toujours conservé au Temple pour être, à l’heure opportune, l’atout péremptoire des parties décisives. Le lendemain de l’exécution de la Reine, Saint-Just, reflétant la pensée de son maître, avait dit : « La guillotine a coupé là un puissant nœud de la diplomatie des cours de l’Europe. » À défaut de la mère, le fils pouvait avantageusement servir de gage ; qui parlerait en son nom aux Puissances coalisées serait certain d’être écouté, et ce patriotique espoir était d’ailleurs le seul motif qui justifiât la longue détention de l’enfant.

Du groupement de certaines indications, jusqu’à présent si disséminées qu’elles sont demeurées inaperçues, ressort, très plausible, la présomption que Robespierre ne déprisait pas l’otage dont il se flattait de pouvoir à l’occasion disposer : c’est d’abord une note de l’espion anglais écrivant pour lord Grenville, à la date du 25 avril : « On ne doute pas que, dans la position actuelle des choses, Robespierre n’ait un de ces deux projets : d’emmener le Roi dans les provinces méridionales, si les armées (ennemies) s’approchent de Paris, — et c’est là le projet du Comité ; —- ou d’emmener le Roi à Meudon et de faire son traité personnel avec la puissance qui s’approcherait de Paris, — et c’est là le projet dont on accuse Robespierre. » Il fallait, pour le mener à bonne fin, s’assurer la possibilité d’extraire du Temple, avec toute la discrétion possible, l’enfant prisonnier. Il semble bien qu’on s’en soit occupé : parmi les