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été enlevée du Temple, jugée, condamnée, exécutée… Le soir de ce même jour, qui était le 10 mai, Robespierre entra, comme il le faisait souvent, dans la boutique du libraire Maret, au Palais-Royal. En feuilletant les livres nouveaux, il s’informait des nouvelles : comme il demandait sur quoi roulaient les conversations, Maret, royaliste et catholique convaincu, ne put, malgré l’indifférente bonhomie qu’il affectait d’ordinaire, réprimer son indignation : « On murmure, on crie contre vous, dit-il ; que vous avait fait Madame Elisabeth ? Pourquoi avez-vous envoyé à l’échafaud cette innocente et vertueuse personne ? — Je vous garantis, mon cher Maret, répliqua Robespierre, que, loin d’être l’auteur de la mort de Madame Elisabeth, j’ai voulu la sauver : c’est ce scélérat de Collot d’Herbois qui me l’a arrachée. » Sa visite au libraire, la question qu’il lui pose, en un tel jour, sont révélatrices de ses préoccupations du moment : car, vers ce même temps, il visita le Temple. Madame Royale a noté dans son journal : « Il vint un homme que je crois qui était Robespierre : les municipaux avaient beaucoup de respect pour lui et sa visite fut un secret ; les gens de la Tour ne savaient pas qui il était. Il vint chez moi, me regarda insolemment, regarda les livres, et, après avoir chuchoté avec les municipaux, il s’en alla. » Ce n’était pas seulement pour « regarder insolemment » la fille de Louis XVI que Robespierre risquait cette inspection au Temple, où il n’était venu qu’une fois, près de deux ans auparavant ; il ne monta pas chez Marie-Thérèse, sans s’arrêter, bien certainement, au second étage. Vit-il le Dauphin ? Descella-t-on pour lui cette porte « fermée à clous et à vis, » qui séparait des vivants l’enfant séquestré ? Ici, comme tout au long de l’histoire de la captivité du Temple, on se heurte à des constatations inconciliables : le fait même de la visite de Robespierre devrait être rejeté si on n’en trouvait, en quelque sorte, le corollaire dans un rapport de l’agent de lord Grenville écrivant : « Dans la nuit du 23 au 24, — mai, — Robespierre alla chercher le Roi au Temple et le conduisit à Meudon. Le fait est certain, quoiqu’il ne soit connu que du Comité de Salut public. On croit être assuré qu’il a été ramené au Temple dans la nuit du 24 au 25, et que ceci était un essai pour s’assurer de la facilité de s’en emparer. » Plus loin, l’Anglais affirme que « le Roi était rentré au, Temple le 30 mai. »