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On comprend bien Robespierre, soucieux de la dignité et de l’intérêt de la France, soustrayant le petit prisonnier à l’horreur de sa réclusion et l’installant au château de Meudon, séjour convenable et salubre qui, depuis longtemps, aurait dû être choisi comme lieu de détention du fils de Louis XVI. C’était faire à la fois acte d’humanité et de bonne politique. Mais pourquoi, aussitôt le difficile transfèrement accompli, permettre la réintégration au Temple ? Dans l’esprit déconcerté par une combinaison si inutile, si hasardeuse et si compliquée, s’affirme la croyance d’une substitution préalable dont Robespierre n’avait jusqu’alors aucun soupçon. Il entreprend de mettre fin au martyre de cet innocent, et constate tout à coup que quelqu’un a « fait le coup » avant lui ! L’enfant qu’il vient de tirer de l’infecte prison n’est pas le petit Roi ! Il s’en aperçoit dès qu’il l’examine à loisir, dès qu’il le presse de questions. Que faire ? Publier le fait, ébruiter la déconvenue ? Mais c’est apprendre à l’Europe entière que la République a perdu le gage sur lequel elle fonde depuis si longtemps l’espoir d’entrer en composition avec ses ennemis. Mieux vaut ne rien dévoiler et réincarcérer l’anonyme, pour qui le Temple est une investiture et qui, à condition de ne jamais le produire, pourra encore servir à des négociations éventuelles. Ce n’est là qu’une hypothèse, ou, pour mieux dire, une induction, — périlleux procédé de raisonnement, interdit aux historiens, mais qui trouve en ce sujet son excuse dans l’obscurité où l’on se débat. Et cette induction, poussée plus avant, éluciderait encore peut-être le revirement singulier qui s’opère, à cette même époque, dans l’attitude de Robespierre : dès les premiers jours de juin, il est visiblement désemparé ; il déserte le Comité de salut public ; « il résigne complètement sa part d’autorité dictatoriale et abandonne à ses collègues l’exercice du gouvernement. » Son plus fervent apologiste, Ernest Hamel, cherchant à discerner les causes de ce renoncement subit, avoue « qu’il est assez difficile de se prononcer bien affirmativement à cet égard, » et Robespierre lui-même, dans ce beau et ténébreux discours qu’on a appelé « son testament de mort » se contentera de donner comme le motif de sa retraite volontaire l’impuissance de faire le bien et d’arrêter le mal. » Piètre excuse pour un homme politique qui se replie après avoir engagé dans son jeu tant de partisans choisis et déterminés. Cette