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au « général : » il va donc suivre scrupuleusement ses instructions. C’est dire qu’il « promènera » le prisonnier ; qu’il invitera le docteur Desault, chirurgien en chef du grand hospice de l’Humanité, — l’Hôtel-Dieu, — à examiner le petit malade ; qu’il fera nettoyer et aérer la chambre et prendra le plus grand soin de l’enfant dont il est le seul surveillant responsable ?… Rien de tout cela ! Laurent se garde d’appeler le médecin ; le pauvre captif ne sort pas de son cachot ; bien plus, son nouveau gardien redoute tant de le laisser voir qu’il ne se permet pas même d’introduire dans la chambre des hommes de peine pour l’approprier. Quelle raison à cette inexcusable incurie ? N’était-ce pas que Laurent vient d’acquérir, dès le premier contact avec le détenu, la certitude que celui-ci n’est pas le Dauphin ? Une pièce d’archives, conservée parmi les papiers du Temple, semble confirmer cette hypothèse : c’est l’ordre donné par Laurent lui-même, le surlendemain de son entrée au Temple, d’apposer d’urgence les scellés sur les papiers de Simon ; et ce document, insignifiant en apparence, est singulièrement démonstratif. Le 11 au soir, en arrivant à la prison, le créole trouve l’enfant endormi : le lendemain matin seulement, il s’occupe de lui, le questionne. Depuis le départ de Simon, il est le premier qui puisse causer à loisir avec le petit abandonné ; le premier qui prenne la peine et le temps de lui inspirer confiance, de le dorloter, d’éveiller sa mémoire, de le confesser : et il ne lui faut pas longtemps pour s’assurer que cet enfant n’est pas le fils de Louis XVI. Barras est avisé aussitôt : le Dauphin a été enlevé. Qui le détient ? qui peut indiquer le lieu où on le cache ? La révélation est un trait de lumière : voilà donc expliqués cette relégation du prisonnier, cet isolement de six mois. Six mois ! Ce laps de temps concorde avec l’époque de la retraite de Simon, l’aveugle agent de Chaumette et d’Hébert. Tous deux sont morts depuis longtemps ; Simon vient de finir sur l’échafaud de Robespierre ; mais peut-être subsiste-t-il chez lui quelque indice dont il faut s’assurer au plus vite. Voilà pourquoi Laurent, usurpant des attributions tout à fait en opposition avec son emploi de geôlier, Laurent que, légalement, ça ne concerne en rien, prend sur soi de requérir l’apposition des scellés sur les effets du cordonnier. De cette façon, si l’on y découvre quelque chose, tout restera entre Barras et ses deux créatures, Laurent, promoteur de la