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à leur faire croire que cet enfant de neuf ans, enfermé depuis six mois, refuse de sortir au grand air, de retrouver ses jeux de naguère, ses ballons, ses palets, ses raquettes ? qu’il n’a pas, — si c’est lui ! — réclamé son chien, manifesté le désir de retrouver ses chers oiseaux ?

Mais non ! Quoique l’intérêt bien entendu de l’État exige qu’on produise le fils de Louis XVI, qu’on proclame sa présence, personne n’est admis à l’entrevoir, fût-ce un instant. Des trois garçons servants, Caron, Vandebourg et Lermouzeau, qui montent à heure fixe les repas depuis les cuisines jusqu’aux étages, aucun ne témoignera jamais l’avoir directement servi. Laurent demeure inflexible et la prison reste impénétrable : nul geôlier ne fut moins communicatif, plus silencieux, plus « fermé. » Ce mutisme, cette réserve circonspecte et méfiante, contrastait si singulièrement avec l’âge du personnage, son origine coloniale et son passé mouvementé, que sa transformation parut louche à ceux qui l’avaient connu précédemment. On s’en émut dans le quartier et ses anciens collègues de la section du Temple rendirent un arrêté portant que Laurent avait perdu leur confiance, et qu’ils considéraient comme « impolitique et même dangereux pour l’intérêt public » qu’un tel homme « demeurât chargé de la garde du fils de Capet. » Sûr de lui et confiant en son protecteur, Laurent ne sourcilla pas : il porta crânement plainte au Comité de sûreté générale, protestant que si justice ne lui était pas rendue, il était prêt à se démettre de l’emploi « qu’il n’avait sollicité en aucune manière. » Il ne changea rien, d’ailleurs, à sa façon d’agir et parvint à séquestrer si parfaitement son prisonnier que les soldats-citoyens, convoqués chaque jour au Temple pour y assurer la garde de la Tour, s’étonnaient de ne jamais apercevoir le fils du tyran, prétexte du dérangement qu’on leur imposait, et se plaignirent un jour de ne pas savoir « s’ils gardaient des pierres ou autre chose. »

Si, à défaut de preuves, ces constatations de détail autorisent à admettre que le fils de Louis XVI avait quitté le Temple au départ de Simon, pour une destination demeurée inconnue, et était remplacé dans sa prison par un autre enfant, toutes les péripéties dont l’aperçu sommaire va suivre se succèdent et s’enchaînent intelligiblement. Si, au contraire, on persiste à penser que le Dauphin est toujours là, que c’est bien lui dont Laurent assume la rigoureuse surveillance, il faut