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renoncer à saisir une relation quelconque entre les divers épisodes composant la fin de l’histoire du Temple et dont la juxtaposition chronologique forme, dans ce cas, le plus extravagant des imbroglios.

Le premier en date de ces épisodes est l’enlèvement, ou, pour dire plus exactement, le transfèrement du petit prisonnier dans le mois qui suivit le 9 thermidor. Barras, ainsi qu’on va le voir, s’était, dès avant cette date fameuse, engagé à tirer de leur prison les enfants de Louis XVI et à les établir dans une résidence plus convenable à leur âge et à la dignité de la République : il avait payé de cette promesse certains concours indispensables à la préparation de sa campagne contre Robespierre. Jusque-là, rien que d’admissible : car ce qui surprend, ce ne sont pas les tentatives faites pour assurer aux deux enfants un sort moins misérable et moins injuste, mais, au contraire, l’obstination de ceux, — s’il en est de sincères, — qui réclament pour ces orphelins inoffensifs la détention indéfinie. Le projet du Barras n’était pas d’opérer clandestinement la translation des détenus ; elle devait être effectuée avec l’assentiment tacite et la connivence de certains de ses amis de la Convention ; Laurent avait été choisi pour en préparer discrètement les moyens.

Mais la découverte inopinée et stupéfiante faite par le créole constatant que l’enfant laissé au Temple par la Commune n’était pas le fils du Roi, plaçait Barras dans une intense perplexité. Qu’allait-il faire ? Proclamer l’escamotage accompli ? Il n’y fallait pas songer : l’aveu eut diminué la France aux yeux de ses ennemis. La politique, sinon la droiture, commandait d’agir comme si l’on ne s’était pas aperçu de la substitution, — de remettre aux Conventionnels auxquels on l’avait promis le prisonnier du Temple tel qu’on en héritait de la Commune défunte, quitte à n’en rien publier, dans l’espoir que, en gagnant du temps, le vrai Dauphin sortirait de l’ombre avant que la supercherie de son remplacement intérimaire eût été ébruitée. Barras résolut donc de garder pour lui seul le secret que lui avait révélé Laurent, se réservant d’en jouer, le cas échéant, au mieux de son intérêt personnel ; mais cette comédie interdisait de faire sortir du Temple, ainsi qu’on en était convenu, Marie-Thérèse en même temps que son pseudo-frère : il importait, en effet, de prévenir l’esclandre