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centaine de francs environ, desquelles il fallait déduire encore les redevances exigées pour les vêtements et les armes, qui, elles, n’étaient pas régulières et ne se prélevaient que lorsqu’il était besoin de fournitures neuves ou de réparations. En réalité, il ne restait pas grand’chose à chaque soldat à la fin de l’année, et les distributions extraordinaires, dues à la générosité des empereurs, arrivaient à point pour grossir quelque peu son très modeste budget. Il est vrai que, comme le troupier classique, il avait la ressource de faire appel à la bourse de ses parents, ressource assez aléatoire, si toutes les mères ressemblaient à celle d’un jeune conscrit dont nous avons la lettre éplorée :

« A ma très chère mère, mille fois salut. Avant tout je souhaite que tu te portes bien, toi et les tiens. Veux-tu bien, au reçu de cette lettre, m’envoyer deux cents drachmes. Quand Geminus est venu, je n’avais que vingt statères ; maintenant, je n’en ai plus un seul, car j’ai acheté une voiture à mulet, et j’ai dépensé à cet achat tout mon argent. Je t’écris cela pour que tu le saches. Envoie-moi aussi un manteau, une pèlerine, une paire de guêtres, une paire de vêtements en peau, de l’huile, la cuvette que tu m’as promise, une paire d’oreillers… Enfin, mère, envoie-moi mon mois bien vite. Tu m’as dit, quand je suis allé te voir : « Avant que tu sois rentré au camp, je t’enverrai un de tes frères ; » et tu ne m’as rien envoyé ; tu m’as laissé ainsi sans rien, rien de rien. Tu ne t’es pas dit que je n’avais ni argent, ni rien ; tu m’as laissé ainsi, comme un chien. Mon père est venu me voir et ne m’a donné ni une obole, ni une bourse, ni rien. Et tous se moquent de moi : « Son père, disent-ils, est soldat et ne lui a rien donné. » Il m’a promis que, s’il revenait chez lui, il m’enverrait tout ce que je voudrais. Vous ne m’avez rien envoyé. Pourquoi ? La mère de Valerius, elle, lui a envoyé une paire de ceintures, une cruche d’huile, un panier de viande… et deux cents drachmes. Je te supplie donc, mère, de m’envoyer ce que je te demande ; ne me laisse pas ainsi. Je vous ai quittés, j’ai emprunté de l’argent à mon camarade et à mon option ; mon frère Geminus m’a envoyé une lettre et des caleçons. Sache-le bien, j’ai du chagrin de ne pas être allé près de mon frère, et lui aussi a du chagrin que je ne sois pas allé près de lui ; il m’a envoyé une lettre pour me reprocher d’être allé dans un autre pays. Je t’écris cela pour que tu le saches. Dépêche-toi