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Wellington est devenue en trois ans celle de Kitchener, comment de la phalange épique des « Premiers cent mille, » elle s’est accrue jusqu’au deuxième et au « Dernier million, » comment cette Angleterre pacifiste de 1914 est devenue la nation armée de 1916 et de 1918, c’est là un de ces chefs-d’œuvre que ne suffit pas encore à expliquer l’inconcevable stupidité de l’agression allemande. Le fait demeurera un de ceux qui étonneront l’histoire. Il n’a pas laissé de surprendre ceux qui ont étudié, comme M. André Chevrillon, l’Angleterre nouvelle, et cette transformation faisait encore le sujet du célèbre roman que M. Wells consacrait au Cas de M. Britling.

C’est qu’il se faisait avant la guerre un de ces mystérieux travaux de la conscience, dont on ne s’aperçoit qu’après coup et qui avaient échappé aux innombrables espions de l’Allemagne. A peu près en même temps que nous pouvions deviner en France, quelques années avant la guerre, les premiers symptômes d’une jeunesse qui serait celle de la victoire, il y avait en Angleterre quelque chose d’analogue, une génération s’annonçant sous une nouvelle étoile, et qui ne ressemblait pas à celle de ses aînés. Rien n’est plus étrange en histoire que ces phénomènes mal définis qui séparent les âmes de deux générations et qui mettent un monde entre les pères et les fils. Il se trouva ainsi qu’au moment de la guerre il y eut, en Angleterre comme en France, une génération de guerre, toute une jeunesse prête aux armes, que les périls n’effrayèrent pas, et qui allait se plaire à jouer avec la tempête. Et c’est à cette génération imprévue que, faute d’un nom qui lui appartienne, et pour la rattacher à quelque chose dans le passé, l’auteur des notices dont j’ai parlé propose de donner provisoirement celui qui fait le titre de son livre, et que sir Rennel Rodd appliquait, dans les lignes qui ouvrent cette étude, au jeune fils de lord Ribblesdale.

Ce nom d’Elizabethans évoque tout d’abord pour un Anglais la glorieuse époque des contemporains de Shakspeare. Leur caractère essentiel, qui les rend toujours si charmants pour l’imagination anglaise, ce n’est pas tant d’avoir écrit cent chefs-d’œuvre pour la scène ; mais c’est que les œuvres tumultueuses, grossières et raffinées dont ils ont peuplé le théâtre, n’étaient que le reflet de leur propre existence. La grande invention de la Renaissance, faut-il le répéter après Taine et