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blasphématoires du romantisme, mais elles étaient si distinguées qu’elles en devenaient inoffensives. L’Angleterre s’était composé avec les idées puritaines une religion à elle, qui s’était consolidée en devenant celle de la grande majorité bourgeoise. C’était un idéal de dignité morale, une religion quasi romaine, fortement assise dans le ciel, et laissant à l’esprit toute son activité dans le domaine pratique ; cette Angleterre majestueuse avait ses poètes lauréats, un Southey ou un Tennyson, son théoricien, Macaulay, son prophète, Carlyle, son sénat de Great old men, faisant songer au Grand Conseil de la Sérénissime République de Venise, et tout ce système semblait faire partie de l’ordre éternel de la nature. Et nous ne nous étions pas aperçu que, depuis quelque temps, cet admirable décor n’était plus qu’une façade ; le personnage wesléien ou presbytérien que la Grande-Bretagne s’était forgé depuis Cromwell, et qu’on avait fini par prendre pour sa figure, tombait de toutes parts ; derrière cette nature acquise, artificielle, reparaissait la véritable et sous l’Angleterre officielle, — comme le courant « libertin » après le jansénisme et le siècle de Louis XIV, — recommençait à sourdre la veine vivace et gaillarde du temps d’Elisabeth, le sensualisme de la Renaissance et toute la vie turbulente de la Merry England

La guerre surprenait le poète en Angleterre, deux mois après son retour de Tahiti.

Ce qui le troublait, c’était de savoir si l’Angleterre agirait comme il faut. De la vieille morale anglaise, le voluptueux, l’immoraliste qu’il était conserve la conscience droite et le sens de l’honneur. Il s’engagea dès le milieu d’août dans l’infanterie de marine, mais il s’impatientait du petit nombre des volontaires. « Il y a décidément trop de gens qui n’ont aucune envie de se faire trouer la peau. » Il souhaita un bon raid de zeppelins pour les secouer un peu. Il écrit : « De tous les vivants, par le temps qui court, il n’y a qu’un Français qui ait le droit d’être fier. » En octobre, le corps de marine fut brusquement jeté à Dunkerque, embarqué pour Anvers, essuya les premiers obus et couvrit la retraite belge à travers le port en flammes. Le poète vit l’exode lamentable de la population et sut dès lors qu’il se battait pour empêcher qu’on revit « ça. » A la fin de février, il partit avec l’armée des Dardanelles ; la flotte fit le tour de l’Espagne, qu’il devina à son parfum comme