Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus fortement qu’en leur présence, il n’a senti qu’il était Français « et c’est dans ces sentiments qu’il déclara solennellement à la Convention nationale et à la France entière, se soumettre à la République française une et indivisible. » Bien plus, il coiffe un chapeau à plumet tricolore pour faire dans Nantes une entrée triomphale I Sans doute Ruelle fut un habile homme et sut « empaumer » le chef vendéen ; mais de celui-ci on n’exigeait pas tant, et c’est de le voir fraterniser si chaudement avec « les Bleus » que plusieurs de ses officiers, ne pouvant ajouter foi au témoignage de leurs propres yeux, imaginent, pour s’expliquer à eux-mêmes un revirement si subit et si imprévu, que leur chef a obtenu des républicains beaucoup plus et beaucoup mieux que les avantages médiocres officiellement consignés dans le traité de paix. La légende de la remise prochaine de Louis XVII à la Vendée naquit, à La Jaunaie même, de la stupeur des chefs vendéens, et peut-être Charrette lui aussi mit-il une certaine complaisance à lui permettre de se propager. Poirier de Beauvais, le commandant général de l’artillerie vendéenne, raconte que, après la fin de la troisième conférence, se trouvant dans la chambre de Charette, il osa se dire « surpris » que ceux qui voulaient la paix n’eussent pas, dès le premier article, fait la demande du Roi…« Dût-on être refusé, l’attachement à la personne du prince et la décence en faisaient une loi… » Charette détourna « avec aigreur » la conversation ; mais, le soir, à la Bézilière, un autre chef de l’armée royale, M. de la Bouère, partageant le lit de M. de Fleuriot, oncle de Charette, et manifestant combien il était dur pour les Vendéens, après s’être battus pendant deux ans sans relâche, de traiter avec les bourreaux du Roi et les geôliers de l’héritier du trône, Fleuriot lui confia, dans le plus grand secret « qu’il y avait des articles convenus qu’on ne pouvait faire connaître… ; par un de ces articles le jeune Louis XVII devait être remis entre les mains de Charette à la fin de juin ; d’ici là, et pour y parvenir…, il fallait la plus grande circonspection et un secret inviolable. « Voilà pourquoi, dans les discussions de La Jaunaie, il n’était pas question de la royauté, Charette sachant à quoi s’en tenir sur ce sujet. »

« L’inviolable secret, » circulant de bouches à oreilles, fut la fable de toute la Vendée et courut jusqu’à Paris ; la Convention s’en émut : durant si longtemps, spéculant sur sa docilité,