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Galliéni prescrit le 4 au matin au général Maunoury de se préparer à attaquer vers l’Est, dans le flanc des colonnes allemandes, en liaison avec les troupes anglaises, et le mande près de lui. Le maréchal French parait encore indécis ; le général Galliéni va à son quartier général et, à défaut du maréchal absent, il convainc son état-major, qui croit pouvoir assurer la coopération de l’armée britannique. De retour à Paris et fort de cette promesse, il confère avec le général Joffre par téléphone et signe aussitôt son ordre d’attaque à l’armée Maunoury pour la journée du lendemain 5 : la bataille de l’Ourcq va s’engager.

Mais ce n’est là qu’un commencement, qui pouvait se limiter à l’effort de l’armée Maunoury et de l’armée britannique, coup de boutoir à peine plus important et mieux ajusté que celui de Guise le 29 août. Est-ce vraiment le moment de l’offensive générale ? Faut-il arrêter les armées françaises avant la fin du repli primitivement envisagé pour les jeter toutes ensemble en avant ? Faut-il attendre un ou deux jours que la droite allemande avec von Kluck soit encore plus avancée dans la poche qu’elle ne soupçonne pas et livrer bataille sur la Seine ? Mais les circonstances seront-elles alors aussi favorables et la gauche de l’armée Lanrezac ne sera-t-elle pas compromise, ainsi que la droite de l’armée anglaise ?

À son quartier général de Châtillon-sur-Seine, à la fin de la journée du 4, au milieu des officiers qui lui apportent à tout instant les renseignements sur l’immense front de ses armées, le général Joffre pèse toutes ces raisons. L’occasion passe, que les anciens représentaient sous la figure d’une femme chauve, n’ayant qu’un cheveu… De sa forte main il saisit le cheveu, et se levant, il dit :

« Eh bien ! Messieurs, on se battra sur la Marne ! »

Cette parole, qui a décidé du sort de la guerre, est traduite aussitôt en ordres que le télégraphe et le téléphone transmettent aux armées. Et le lendemain, de l’Ourcq aux Vosges, les soldats vibreront en écoutant la parole immortelle de leur général en chef : « Au moment où s’engage une bataille d’où dépend le salut du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière : tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de