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passages des ailleurs musulmans que M. Asin a cités, et dont plusieurs sont fort beaux, pas un ne m’a donné l’émotion dont m’étreignent deux vers de Dante.

Mais ce n’est pas seulement l’artiste que cette thèse grandit encore. Son œuvre en reçoit une signification historique plus large. Nous savions que la Divine Comédie était comme la Somme poétique du Moyen Age. Elle l’a été plus que nous ne le croyions, puisqu’elle garde le reflet et peut-être l’empreinte de la civilisation musulmane dont le Moyen Age a été la grande époque. Et elle en retire une signification religieuse plus profonde. L’Islam, comme le dit M. Asin, n’est qu’un fils bâtard de la Loi Mosaïque et de l’Evangile. Dante, en s’emparant des éléments artistiques et mystiques que cet Islam lui offrait et qui ne contrariaient en rien les dogmes de l’Eglise, les rendait à la culture chrétienne et accroissait sa richesse. Il rechristianisait des conceptions qui avaient perdu leur extrait de baptême et jusqu’au souvenir de leur origine. Mais les traditions islamiques n’ont pas tout pris au Judaïsme et au Christianisme. ! Elles se sont nourries des religions orientales. Derrière le Prophète qui revient de son voyage nocturne nous entrevoyons des routes qui s’enfoncent dans la Chaldée, dans la Perse, dans l’Inde, et où il a recueilli, avant d’arriver jusqu’à nous, quelques-uns des rêves que, depuis des milliers d’années, les hommes ont faits devant la mort. Ce qui en a passé dans la Divine Comédie lui donne une signification humaine plus étendue. Ce monument, que le seul Dante a édifié, mais dont les plans ont été ébauchés par tant d’hommes et de tant de pays, me pénètre d’une impression analogue à celle que dut éprouver Hérodote lorsqu’il visita le temple de Thèbes et ses prodigieuses colonnades. Il y compta les statues des grands prêtres. Elles représentaient trois cents générations d’hommes qui s’étaient succédé de père en fils et dont le premier remontait à plus de onze mille ans. Et si Ozanam a pu dire que Dante n’a pas touché une idée qui ne fut consacrée par les craintes et les espérances des hommes, il semble qu’en se penchant sur son poème on entende un murmure de plaintes et de prières, d’effroi et d’amour, qui part du fin fond de l’humanité :


ANDRE BELLESSORT.