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Les sacrificateurs ont hanté ces menhirs
Que le lichen revêt d’une sombre patine,
Et sur le Birkenfels où rêvent nos loisirs,
A resplendi l’éclair de la hache assassine.

A l’abri de ces bois s’est arrêté César,
Et leurs chemins dallés conservent son empreinte !
Le ténébreux Waldsberg, arsenal et rempart,
Accueillit ses soldats dans son haut labyrinthe.
 
Puis s’en vinrent après Materne et Colomban :
Le fantôme du Christ plana sur ces bruyères ;
La montagne s’emplit d’un parfum d’oliban,
Et sous les arbres noirs la foi mit ses lumières.

Le rude grès païen dressa partout la croix.
Dans les vallons régna la paix des monastères,
Et les moines pensifs, plus puissants que les rois,
Soumirent le Barbare aux règles salutaires.

Auprès des tumuli, funèbres monuments,
Où des crânes poudreux dorment parmi des armes,
On vit s’épanouir les chapiteaux romans,
Et les prêtres répandre, au lieu de sang, des larmes.

C’est pourquoi, pèlerin par la grâce touché.
Je veux en ce beau jour que l’automne illumine,
M’égarer à pas lents, le visage penché,
De sommet en sommet, de ruine en ruine.

Je veux mettre d’accord avec cet horizon
Ma méditation et ma mélancolie,
Sortir du temporel et briser ma prison.
Comme un ange captif que l’extase délie.

Je me recueillerai près de Niedermunster,
Où s’écroulent des nefs sur des tombeaux d’abbesses,
Où sainte Odile allait, durant le long hiver,
Révéler le printemps des divines promesses.

Je remplirai mes yeux d’une fauve splendeur :
Devant les châteaux forts qui ne sont que décombres,
Et sur les rocs à pic j’habituerai mon cœur
A dominer, serein, les abimes pleins d’ombres.