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d’impétuosité que son adversaire ; Pouchkine lui-même lui en rendit hommage en déclarant, dans sa lettre, que d’Anthès s’était conduit en parfait honnête homme. Le 3 janvier 1847, d’Anthès épousait à Pétersbourg Catherine Goncharowa et mettait ainsi fin aux pénibles incidents de novembre. Il est intéressant de noter que cette union, formée dans d’aussi singulières circonstances, fut extrêmement heureuse. Le roman de Mme Pouchkine, la mort sanglante de son mari, ne devaient point, obscurcir le bonheur de ces deux êtres qui s’étaient rencontrés en pleine tourmente.

Voilà donc la paix rétablie entre les deux adversaires. Mais de fait, cette entente n’est qu’extérieure. Tout en renonçant au duel, Pouchkine garde toute sa méfiance. Le jour des fiançailles, il s’abstient de saluer d’Anthès, refuse d’assister à son mariage, et, lorsque celui-ci vient lui faire une visite de réconciliation, il garde sa porte fermée. Il est aisé de prévoir que le moindre incident fâcheux ne tardera point à ranimer la querelle.


C’est ici que la conduite de George d’Anthès et de la jeune femme devient réellement coupable : profitant de l’intimité nouvelle avec la famille Goncharoff, d’Anthès ne tarde pas à revoir l’objet de sa passion, si bien que dans un cadre nouveau rien n’est changé à leurs anciennes relations. Elles deviennent au contraire plus suivies et plus compromettantes. Ici encore le rôle de Mme Pouchkine est difficile à définir. Est-elle victime des assiduités de d’Anthès ? Les encourage-t-elle au contraire ? Cette femme, dont la frivolité est le seul trait caractéristique, est entourée d’amis qui ont tout fait pour la préserver du scandale. Quant à son mari, si nerveux, si emporté qu’il soit à son heure, il se fait de l’innocence de la belle Nathalie un article de foi. Aussi dans les mémoires de l’époque, dans les récits des témoins, nous ne trouverons aucune parole outrageante pour Mme Pouchkine. Sa faute ne parait être qu’insouciance et légèreté, légèreté criminelle, dira-t-on avec raison. Le supplice que Pouchkine avait enduré avant le mariage de sa belle-sœur recommence ainsi, et il est d’un caractère plus humiliant encore. Pouchkine s’en rend compte à chaque moment : dans le monde, au bal, au milieu de sa propre famille, l’insulte se prolonge et se répète sans cesse ; sans cesse, il est condamné à surprendre