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volontiers d’un sujet à l’autre, bien qu’il garde toujours comme fil conducteur la préoccupation de montrer la radicale transformation que subit, — à son instigation, — la flotte de combat anglaise dans les dix années qui précédèrent la guerre.

C’est dans la deuxième lettre qu’il commence à parler du pétrole et à faire allusion à la foi qu’il eut depuis longtemps dans l’avenir du combustible liquide :

« Tel fut, dit l’amiral Fisher, le cas de cette grande armada de 612 bâtiments dont la construction fut autorisée d’un trait de plume par M. Lloyd George, alors chancelier de l’Échiquier (1915, sans doute ? ..), et qui avait pour but de débarquer une grande armée russe à 32 milles de Berlin, sur la côte de Poméranie. » « Oui, ces monstres amphibies hantaient ma cervelle : ils étaient à l’épreuve du gros temps, des projectiles et des mines et des torpilles : chacun d’eux, rempli d’hommes, de chevaux, de canons, de véhicules, traçait sa route au sein de l’eau comme un monstrueux hippopotame ; et puis, grimpant péniblement sur la grève comme un tank (les tanks étaient inconnus alors)[1]il rabattait sa carapace et émergeait au soleil comme un papillon de guerre sortant d’une chrysalide blindée. C’est la machine à pétrole qui eût permis de réaliser ce prodige, cette machine appelée à révolutionner aussi le commerce maritime, comme elle transformera l’art tout entier de la guerre navale. Lorsque je fus appelé à l’amirauté (pour la première fois) en 1880, on m’avait déjà surnommé « le maniaque du pétrole. » Lord Ripon, premier lord de l’amirauté, après m’avoir envoyé chercher, me dit qu’on me qualifiait de « radical exalté » et de Gambetta. Il ajouta qu’il avait pourtant l’intention de me faire entrer au conseil de l’amirauté, à quoi je répondis que pareille nomination entraînerait certainement la démission immédiate de tous les autres membres. Une semaine plus tard, il m’avoua que j’avais eu raison. Mais, grâce à Dieu ! si l’on se passa de moi pour le

  1. Dès le début de 1915, cependant, la sous-commission des armements (commission du budget de la Chambre française avait vivement engagé le gouvernement à suivre de très près les études des inventeurs de « fortins automobiles » montés sur « caterpillars. » Ces propositions furent en effet transmises à la direction du génie au ministère de la Guerre : mais cet organique n’apporta qu’un médiocre empressement à faire aboutir les expériences, si l’on en croit le rapport de M. le député Aubriot, déposé le 26 septembre 1916, mais qui, naturellement, n’a pu être publié par l’Officiel que le 28 novembre 1919.