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des peuples alliés est rentré chez lui, chargé de lauriers et pressé de cueillir tous les fruits que pouvait lui procurer la victoire. La France, dont les sacrifices ont dépassé ceux des autres nations, s’est trouvée en face de ses dix départements dévastés et de ses quatorze cent mille tombes. Elle a cherché à sonder le gouffre ouvert dans son budget et n’est même pas parvenue à en entrevoir le fond. Écrasée sous les dettes, privée de main-d’œuvre, manquant de matériaux, de charbon, de blé, elle a perdu peu à peu, aux yeux de ses amis, l’auréole de gloire qui lui avait valu leur admiration, et elle est presque passée aujourd’hui, dans leur esprit, au rang du parent pauvre, dont on redoute l’indiscrétion et l’importunité. »

Est-il permis de rappeler à ceux qui tiennent ces propos pessimistes qu’au cours même de la guerre, nos Alliances ont résisté à des épreuves parfois plus dangereuses pour elles que celles dont il leur faut encore triompher ? Lorsque le gouvernement britannique hésitait à engager ou, plus tard, voulait abandonner cette expédition de Salonique qui nous a permis, en 1918, d’ouvrir la première brèche dans les positions ennemies ; lorsque l’Angleterre, la France et la Russie ont essayé, au commencement de 1915, de concilier les prétentions opposées des Italiens et des Slaves dans l’Adriatique ; lorsque l’Entente a dû régler son action commune en Grèce, en Roumanie, en Asie Mineure ; lorsque se sont produites tant d’autres complications diplomatiques, militaires, économiques, financières, s’imagine-t-on que l’accord entre les Alliés se soit automatiquement maintenu par une sorte de vertu naturelle et que la vigilance des gouvernements n’ait jamais été nécessaire pour prévenir ou effacer les dissentiments ? Je me souviens d’un mot que se plaisait à me dire un Président du conseil français : « Depuis cette guerre, j’admire beaucoup moins Napoléon. Il avait à combattre une coalition et je vois maintenant combien une coalition est difficile à conduire. » Comment oublier jamais les heures de fièvre et d’angoisse où, jusqu’au milieu des batailles, l’égoïsme national se réveillait chez les peuples alliés et s’opposait brutalement à l’intérêt collectif ? Un des titres impérissables de M. Clemenceau à la reconnaissance française est d’avoir, de la fin de 1917 à l’armistice, non seulement galvanisé notre pays, que troublait le défaitisme et que guettait la trahison, mais veillé, avec une attention jalouse et passionnée, à la conservation de nos alliances.

Il a obéi, dans la préparation de la paix, à la même préoccupation dominante et on ne saurait trop l’en féliciter. Les tableaux si