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pour diriger les affaires asiatiques, deux anciens fonctionnaires du Tsar au ministère du Pont des Chantres : M. Vosniesensky, nommé « commissaire des Soviets au département d’Asie, » et son adjoint M. Bravine, spécialiste des langues et des pays musulmans, qui a rempli sous l’ancien régime des fonctions diplomatiques importantes en Perse et aux Indes et dont Trotski a utilisé les services à Téhéran et à Caboul ; c’est dans cette ville qu’il travaille actuellement à créer un nationalisme afghan et qu’il centralise les fils des intrigues turco-bolchéviks. Le Tsar avait renoncé, par l’accord de 1907 avec l’Angleterre, à toute action en Afghanistan, mais, déclare M. Vosniesensky, la Russie des Soviets y reprend maintenant son influence ancienne ; par-là s’ouvre la route des Indes que suivit, au XVIe siècle, le conquérant mongol Bâber et que connaissent déjà les agents bolcheviks. Ainsi la politique nouvelle des Soviets se fait plus nationaliste et plus russe que celle de Nicolas II ; qu’elle soit sincère ou qu’elle mette un faux nez, elle agit comme si ses intentions étaient bien de menacer et de détruire la puissance britannique aux Indes. Après Napoléon et Ludendorff, c’est vers l’Inde que la Russie révolutionnaire, pour frapper l’Angleterre au défaut de sa cuirasse, dirige ses efforts et bientôt peut-être ses coups.

Une mission hindoue a été accueillie avec de grandes fêtes en septembre 1919 à Samara ; à la fin d’octobre, Lénine a reçu une mission afghane à Moscou, en même temps que les délégués des Soviets de Tachkent. Trotski a créé dernièrement une nouvelle académie militaire à Kazan ; on y forme des officiers musulmans destinés à encadrer les contingents musulmans de Russie, du Turkestan, bientôt peut-être des Indes. Le régime bolchevik aboutit ainsi à une nouvelle conquête de « la Sainte Russie » par Mahomet.

Mais toutes ces intrigues, tous ces plans à longue portée, sont-ils autre chose qu’un trompe-l’œil, une vaine menace ? Le but des bolcheviks n’était-il pas tout simplement de mettre hors de cause Koltchak et Denikine, puis de conclure une paix avec les Puissances européennes et le Japon ? Leurs menées asiatiques sont-elles autre chose qu’un moyen de faire pression sur les Alliés et notamment sur l’Angleterre ? Peut-être pourrait-on le croire si n’intervenait ici un fait nouveau et capital : l’entente du nationalisme turc et du bolchévisme russe.