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leur enseigne le respect des aïeux et le culte du terroir. Elle les fait songer à deux choses : à la Race et à la Patrie… »

Cet hymne à la vieille bouteille française ne surprendra pas les amis de Robert de la Sizeranne, ceux qui l’ont vu arriver à quelque dîner intime, serrant dans la poche de son pardessus une monstrueuse apostume, puis en tirant, avec mille précautions, embobinée de journaux, sale et poudreuse à souhait, une bouteille de son cru, — puis, d’un geste large, la posant sur la table, se reculant un peu pour jouir de l’effet, et, l’œil enflammé de concupiscence, la bouche déjà fraîche, les lèvres serrées en bouquet, la langue claquante, nous détaillant, avec sa généalogie, les mérites de cette paysanne en jupe crottée. Je doute que Ruskin, dans toute sa gloire, entouré de sa cour de vieilles demoiselles esthètes, ait jamais offert le thé avec l’éloquence et la conviction respectueuse de Robert de la Sizeranne débouchant un vin de l’Hermitage, ou une vieille eau-de-vie presque centenaire.

Cela, c’est la poésie de la campagne. Mais il y a aussi la prose, hélas ! Une prose souvent fort rude et qui n’a rien de plaisant. Robert de la Sizeranne n’en a pas peur. Ce propriétaire connaît ses champs, ses vignes, son monde, son village, son canton, son département. Il cause avec le facteur, l’instituteur ou le curé comme avec ses tâcherons et ses ouvriers agricoles. Il sait ce qui se trame au « Café du Commerce » entre le vétérinaire et le médicastre du lieu. Et ainsi il n’a aucune des illusions que peuvent avoir les politiciens de salon, ceux qui rêvent de réconcilier les classes, d’évangéliser les campagnes, de rénover la vie provinciale par un vague régionalisme. Il connaît la haine sournoise d’une partie du peuple des campagnes contre tout ce qui le dépasse, contre toute supériorité morale, intellectuelle, matérielle, contre ceux qui possèdent la terre pu la richesse et aussi contre le prêtre, qui en enseigne le mépris, et, par conséquent, il n’ignore pas combien il est difficile de faire fraterniser la chaumière avec le château. En revanche, il voit ces mêmes gens agenouillés devant la force et l’argent, — la puissance quelle qu’elle soit, juste ou injuste, funeste ou bienfaisante, honorable ou ignominieuse. Il n’ignore pas non plus que le « Café du Commerce » dressé en face de l’église est une citadelle inexpugnable et que M. Homais est éternel ; que la prospérité d’une province