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est liée à de tout autres causes qu’un régime plus ou moins centralisateur et que l’esprit local est capable de bien pires méfaits que celui des bureaux ministériels et des administrations métropolitaines.

Mais il ne se borne point à observer autour de lui, à se mettre en garde contre les utopies et les entraînements. Cet homme de pensée est aussi un homme d’action. Cela rentre d’ailleurs dans son esthétique. Comme Ruskin et aussi comme Taine, il croit que la Beauté se reconnaît à ce signe qu’elle possède une bienfaisance sociale. D’ailleurs, avant de peindre des tableaux et de sculpter des statues, la première des tâches est de donner du pain aux multitudes, et, en diminuant la souffrance et la misère, de diminuer d’abord la laideur dans le monde. Notre esthéticien s’est mis bravement à la besogne. Il a écrit et il écrit encore une foule d’articles sur les questions sociales contemporaines. Ceux qui ne connaissent de lui que ses livres d’art seront tous surpris un jour de voir surgir, à côté de son œuvre purement littéraire, une autre œuvre éminemment pratique, vulgarisatrice d’idées saines, justes, belles aussi, et immédiatement applicables. Et il ne s’en est pas tenu à la théorie. Un des premiers, il a concouru, dans son pays, à la formation des syndicats agricoles. Il a été surtout le collaborateur dévoué, plein d’abnégation, de son admirable frère, M. Maurice de la Sizeranne, dans son œuvre d’éducation des jeunes aveugles. On sait que celui-ci, ayant perdu la vue à l’âge de douze ans, a consacré sa vie et ses ressources au soulagement de ses frères d’infortune. Grâce à lui, l’Association Valentin Haüy est un établissement de premier ordre, doué, en particulier, d’une très riche bibliothèque à l’usage des aveugles. Les deux frères, unis en cela de cœur et d’esprit, n’ont épargné ni leur temps, ni leur argent, ni leurs peines, pour que les pauvres aveugles ne fussent pas exclus complètement même du bienfait de la lumière, et qu’à travers les livres, un peu de sa beauté et de sa joie parvînt jusqu’à eux…


Je disais que l’on sait tout cela. On ne le sait peut-être pas assez. Ni Robert de la Sizeranne ni son frère ne parlent volontiers de leurs œuvres sociales. Ils ne leur demandent ni plus de notoriété pour eux-mêmes, ni honneurs, ni bénéfices matériels