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ferraillement d’un arsenal, des faubourgs, des plans d’eaux qui blêmissent et s’éteignent au loin dans la brume ; des ouvriers, des marins, des retraités de l’Etat, de vieux officiers de vaisseau. Il habite chez l’un d’eux, dont la femme reçoit en pension les petits garçons de son espèce. Elle est piétiste, d’âme rigide, durement, strictement disciplinaire. On se sent bien seul, le soir, chez elle, — bien loin de sa maman. Si peu de tendresse et tant de Bible ! La Bible, c’est là qu’il se pénètre pour toujours de son âpre essence, l’enfant qui, jadis, au milieu de la foule et de l’effluve hindous, enguirlandait le monstrueux Ganesh. On verra ce que fut sur la poésie de Kipling, — vocabulaire, mouvements, accents — l’impérieuse influence du Livre.


Onze ans maintenant : l’âge où un petit Anglais passe aux mains des hommes pour devenir un homme. Pour les enfants de cette catégorie sociale, presque toujours, c’est l’internat, — mais ne pensez pas à tout ce que le mot éveille en nos esprits français. L’école est à la campagne, souvent au bord de la mer, avec prairies, terrains de jeu, où les jeunes garçons ne sont pas confinés : les limites (bounds) assignées à leurs libres courses sont à plusieurs kilomètres de la maison. Une école anglaise est d’abord un lieu d’élevage. Le corps d’un « petit homme » serait-il moins précieux que celui d’un jeune poulain ? — l’intégrité de ses énergies sans valeur pour lui-même, pour le pays et pour la race ? Mais ici l’élevage est aussi des âmes. Par son enseignement de religion, d’honneur et de morale, par son insistance à viriliser les caractères, par ses disciplines et libertés qui dressent l’enfant à la surveillance, la conduite et la responsabilité de soi-même, par ses « jeux éducateurs, » répétés trois après-midi par semaine, où l’on apprend à obéir pour apprendre à commander, par le système qui enrôle les grands du côté de la règle et leur confère une autorité, par ses châtiments mêmes : les verges, que l’honneur commande de recevoir sans donner signe de sensibilité, par ses traditions de vie et d’activité communes, une telle école veut façonner des Anglais du beau type exact et régulier, des hommes sains, résistants, capables de joie et d’action, spontanément appliqués au devoir, bien intégrés dans le groupe, et de valeur pour le groupe. Le point de vue est ici pratique, non de la connaissance, mais de la vie : vie de ce groupe, auquel le jeune être