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Au contraire, il n’y a guère de personnage de la Renaissance, à Florence, à Milan, à Ferrare ou à Naples ; il n’y a guère d’artiste, de poète ou de savant, de prince ou de diplomate, d’homme d’Eglise ou d’Etat, sur lequel, si l’on veut s’instruire, il ne suffise de consulter la table de Machiavel et son temps. C’est ce qui fait que ce livre, moins parfait que Savonarole, paraît encore plus précieux, comme un inépuisable répertoire de documents humains, et comme un tableau inégalé du spectacle de la vie à l’une de ses époques les plus brillantes et les plus riches. J’en ai fait plus d’une fois l’épreuve sur le conseil de mon cher maître Teodor de Wyzewa. Avais-je à me renseigner sur un des abbés de Châalis ? J’ouvrais mon Villari et j’y trouvais l’histoire du cardinal Hippolyte d’Este ; j’y lisais comment ce prélat, archevêque à sept ans, s’étant épris d’une des femmes de sa belle-sœur Lucrèce Borgia, cette jeune femme lui avait avoué en badinant qu’on ne pouvait résister aux beaux yeux de Giulio, le frère du cardinal ; sur quoi celui-ci se précipitait sur Giulio et lui arrachait les deux yeux. Et tout le livre, composé d’une foule de traits semblables, racontés avec la tranquille bonhomie italienne, formait le guide indispensable, écrit par un homme du pays, à travers ce monde magique et violent que fut la Renaissance.

Mais le mérite de ces études n’aurait pas suffi pour expliquer la gloire exceptionnelle dont Pasquale Villari jouissait en Italie et la situation de ce professeur, sénateur du royaume, ancien ministre de l’Instruction publique, le premier écrivain italien qui ait été honoré du collier de l’Annonciade, distinction réservée aux hommes d’Etat du premier rang et aux princes étrangers. Il est même probable que M. Bonacci n’eut point songé à nous donner ses « Pages choisies » de Villari, si l’auteur de Savonarole n’eût été quelque chose de plus qu’un de ces grands érudits tels que Pio Rajna ou le professeur d’Ancona. En effet, Villari n’était pas seulement un de ces spécialistes dont le nom fait autorité. C’était un de ces hommes dont la parole est action. La sienne avait le don de naître populaire. Sur toute question contemporaine, il intervenait hardiment par ses écrits et ses discours. Cet historien, ce confident des rêves du passé, n’y restait point enseveli ; il n’était pas moins à l’aise au milieu des affaires du jour, des problèmes de la vie sociale et de la politique. Ses fameuses Lettres du Midi, adressées au directeur du