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d’un étang de Lorraine, lorsqu’il vit se produire un bouillonnement qu’il attribua à un coup de grisou. Aussitôt son imagination lui représenta des galeries de mines creusées sous ses bois, toute cette région forestière massacrée par une exploitation industrielle. Ainsi lui apparut l’idée du Repas du Lion. Elle lui apparut ainsi parce qu’il la portait en lui depuis longtemps. Né dans une famille d’industriels, il avait toujours vécu parmi les préoccupations et les soucis de ceux qui ont à diriger des armées d’ouvriers : la question chaque jour plus aiguë des rapports entre le capital et le travail s’était imposée à ses réflexions. Aussi bien, la pièce qu’il se proposa d’écrire devait être moins une pièce sociale qu’une étude psychologique. « Mon intention, nous dit-il, en créant le personnage de Jean, était d’accompagner dans son pèlerinage à travers la vie un homme qui porte, comme une meule attachée à son cou, l’écrasant fardeau d’un vœu contraire à ses inclinations. » Chemin faisant, la pièce avait légèrement dévié vers l’étude sociale. En la remaniant, M. de Curel s’est efforcé de la faire rentrer dans la ligne psychologique et ainsi de réaliser plus exactement l’objet qu’il s’était d’abord fixé.

Le premier acte nous initie à l’étrange situation qui va peser sur le héros de la pièce. Un enfant, Jean de Miremont, apprend qu’on est en train d’opérer des sondages sous les bois qui couvrent le domaine familial. Il aime passionnément la forêt pour sa beauté et pour l’ardent plaisir de la chasse. Pour sauver ses chers bois du péril qui les menace, il imagine d’inonder le puits de mine en voie d’exécution. Le malheur veut qu’un homme fût resté au fond et qu’il y ait trouvé la mort. Sur le cadavre du mineur dont il est l’involontaire assassin, Jean fait le serment de se consacrer au bien des ouvriers… Ce premier acte, ramassé et dru, est de tous points admirable. D’abord par son mouvement. Et puis parce qu’il pose avec une netteté puissante le caractère que nous allons voir évoluer au cours de la pièce. Jean de Miremont est par tempérament, non pas un fort, mais un violent ; par esprit de caste, il est un orgueilleux, persuadé que tout doit céder à son caprice. C’est le cours naturel de cette hérédité et de cette humeur que va déranger le vœu formé par l’enfant.

Le second acte, excellent comme étude morale, nous met sous les yeux la péripétie de ce caractère : comme dans la tragédie classique, l’instant choisi est celui de la crise. Jean de Miremont, en accomplissement de son vœu, s’est consacré à plaider la cause des travailleurs. Il est devenu l’orateur acclamé des Cercles catholiques d’ouvriers. Seulement, l’auteur nous le fait très bien sentir, il