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Vivier, mais, comme ne pouvant se résoudre à abandonner une vision chère, il se retourna encore une fois dans la direction du Moult.

La brume ensanglantée et chaude se mêlait aux vapeurs bleuâtres montant du Loir. Déjà l’Île Heureuse s’était enfoncée dans la nuit.

Sur la dunette d’un petit yacht loué pour la saison et qui glissait de l’île de Wight vers Douvres, au milieu de la Manche pâle et plate, Maud et May causaient…

May, plus éblouissante que jamais, son grand deuil illuminé par l’or éclatant de ses cheveux inondés du soleil d’août :

— Il fait trop beau et trop chaud !… Et puis ce deuil !… Je fais inutilement ouvrir tant que je peux mes robes ;… j’étouffe.

De désespoir, elle étira ses bras nus sur le fauteuil de paille, cherchant une fraîcheur à placer au contact de sa chair.

Maud, en blanc, de ses splendides yeux d’un bleu sombre fixait l’espace :

— Quelle fête de soleil et d’eau !… C’est merveilleux… Détends-toi, ma chérie, tu en as tellement besoin. — Et se reprenant :

— Mais non, on ne peut pas se détendre avec ces nouvelles !… Crois-tu vraiment que la guerre va être déclarée ?… Cela semble si impossible, si fou !… Tout se bornera peut-être à une mobilisation de part et d’autre, après quoi chacun rentrera tranquillement chez soi.

Nerveuse, May vibra tout entière d’un rire strident, inhabituel.

— Te voilà maintenant qui parles comme d’Orves… Tu es stupide. Moi, je crois à la guerre… Tiens, des bateaux…

Des fumées minces s’infléchissaient au loin, sur le ciel, à la limite extrême de l’horizon. Puis de minuscules silhouettes de coques apparurent, se profilant nettes et noires comme des ombres, se découpant sur le bord de l’étendue étrangement vide, polie, vitrifiée, réfléchissant l’ardeur torride du matin. Un homme de l’équipage anglais du yacht vint se poster près des deux femmes, et, braquant sa longue vue : French men of