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magne. L’ambassade de France, où j’avais installé mes bureaux, ne désemplissait pas. Bien que je ne pusse leur donner que des espoirs indéterminés et des assurances très vagues, le seul fait de ma présence, leur prouvant qu’ils n’étaient pas oubliés, était un réconfort pour eux.

Leur tenue à tous était admirable. Elle était toujours très correcte et aussi militaire que le leur permettait leur pauvre uniforme usé ou leur accoutrement parfois étrange. Des officiers même ne pouvaient ouvrir leur capote, leur pantalon étant trop à jour. Tous les prisonniers des derniers mois n’avaient rien pu recevoir de France. Dans cette masse d’isolés, je n’ai jamais vu un ivrogne ; jamais je n’ai reçu une plainte contre un excès de leur part. Pas un ne s’est mêlé aux manifestations quotidiennes, aux émeutes révolutionnaires qui étaient de tous les jours soit à Berlin, soit dans les grandes villes. Ils avaient trop souffert de ce peuple pour s’en rapprocher. Ils n’avaient qu’une idée en tête, revoir la patrie. Mal vêtus, mal couchés, plus mal nourris, peu ou à peine soignés, privés de correspondance, leur moral ne défaillait pas.

Et dans cet hommage à nos soldats, j’englobe également tous nos braves contingents coloniaux. Malgré toutes les avances qui leur avaient été faites en captivité, bien peu avaient consenti à aller servir en Turquie sous les étendards du prophète. Pas un ne se compromit dans les mois où je les vis. Cette fidélité avait surpris nos ennemis. Pour eux, le noir est une bête sans âme ni conscience. Ils l’ont bien montré dans leurs colonies. Ils nous ont toujours fait grief de leur emploi en Europe. Je dois cependant citer à ce sujet un mot qui m’a frappé. Un jour, un fonctionnaire prussien me reprochait doucement dans la conversation cette coopération de nos Africains. « Il est vrai, ajouta-t-il après un moment de silence, que vous pourrez me répondre : vous employez bien les Bavarois ! » J’avoue que je dus faire effort pour ne pas paraître interloqué.

Ma première préoccupation fut de ramener l’ordre et le bien-être. Toutes les délégations me demandaient d’avoir des officiers français dans les camps d’hommes. Le gouvernement allemand, voyant dans cet envoi une garantie de discipline, donnait son assentiment, tout en limitant beaucoup le nombre à envoyer. Je fis appel aux officiers volontaires : des milliers se présentèrent. Mais si le ministère était consentant, les résis-