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total : trois directeurs (dont un simple Dirigent) et 18 conseillers. » Au bureau central, il y avait, comme il arrive souvent, un de ces vieux employés à mémoire infaillible, auquel on s’adressait pour savoir le contenu et la place des dossiers. On ne s’était pas encore avisé d’un système plus moderne. Les casiers, les cartons, étaient sévèrement interdits, comme les machines à écrire. Il va sans dire qu’on ignorait le téléphone. Ceci se passait aux environs de 1895.

On sent combien ces vieilles boutiques, avec leurs détours compliqués, leurs cloisons, leurs compartiments, leur absence de jour sur la rue, sont propices à l’embuscade et à la préservation quasi indéfinie des idées les plus arriérées. L’esprit d’autrefois s’y perpétue comme la poussière et les toiles d’araignée. Le conseiller secret (Geheimrat) von Holstein, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, où il était chargé avant M. Hammann des rapports avec la presse, représentait l’esprit du fonctionnaire prussien dans ce qu’il a de plus morose et de plus rébarbatif. Prodigieusement méfiant, et se croyant par là un profond politique, cet homme, d’ailleurs intègre, est l’exemple de ce redoutable pouvoir anonyme et irresponsable, de l’immense force d’inertie qu’exercent les bureaux. Pendant quinze ans, sous trois chanceliers successifs, cet homme ignoré du public, dont on ne connaissait pas les traits et dont il n’existait même pas une photographie, demeura, dans le plus profond incognito, — si nous en croyons M. Hammann, qui le charge de tous les péchés d’Israël, — le maître de la politique allemande. C’est pour lui qu’étaient les premières visites d’ambassadeurs. C’est lui qui inspira l’article de la Gazette de Voss qui cassa les reins à Caprivi. C’était un de ces ascètes du pouvoir, sans aucune ambition personnelle, mais passionnés pour leur fonction, qu’ils confondent avec l’intérêt de l’État : bien différent de son collègue, le joyeux Souabe Kiderlen-Wachter, avec son petit boule-dogue rapporté de Stamboul, qui se prélassait sur la table entre les plumes et les dossiers ; avec celui-ci, on ne pouvait se faire écouler qu’en tournant les choses à la plaisanterie. Le chancelier de Bülow invita Holstein à une de ses soirées pour le présenter à l’Empereur, qu’il servait depuis si longtemps sans l’avoir approché : Holstein n’avait pas un habit présentable et dut se rendre à la soirée en redingote.

Tel est l’homme qui se croyait l’héritier de Bismarck et le