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On aurait pu compter les groupes de danseurs qui, deux par deux et se tenant la barbe, se trémoussaient, le verre en main, en l’honneur de la Thora. Presque tous, c’étaient encore les plus vieux personnages de la Communauté sainte ! C’était le Grand Usurier, qui, dans un sursaut d’énergie, oubliant pour un instant ses terreurs, se démenait en tenant par la barbe le vénérable Hazën, que pourtant il n’aimait guère. C’était le Sacrificateur accouplé à Reb Naftali… Mais à quoi bon citer des noms, pour la honte de tant de garçons pleins de jeunesse et de force, qui demeuraient là, inertes, affalés le long des tables, devant leurs verres à demi pleins ?

Soudain, Reb Eliakoum, le fou, saisi d’une de ces fureurs qui le prenaient parfois, quitta précipitamment sa place, et avec de grands gestes et des mots inarticulés, s’élança hors du Saint Lieu, dans la cour du Rabbin miraculeux.

Toute la synagogue se précipita derrière lui, curieuse comme à l’ordinaire d’assister à sa fureur, heureuse aussi d’échapper pour un instant à l’obsession du massacre.

Très grand, d’une carrure athlétique, — ce qui est rare chez les Juifs, — la barbe rouge ébouriffée, le dément se tenait au milieu de la cour, la boite de prière sur le front, les philactères aux bras, ayant rejeté dans son excitation le taliss qui couvrait sa tête et qui traînait comme une loque de ses épaules jusqu’à terre. Subissait-il l’effet du vin ? L’émotion qui l’entourait avait-elle pénétré sa nuit ? L’antique fureur prophétique rejaillissait en lui, mais d’une façon dérisoire, car c’était contre les nourrices et les servantes de la maison du Zadik qu’il proféra d’abord des injures à faire pâlir les invectives les plus hardies de l’Ancien Testament. Puis laissant là les servantes, le poing levé, l’écume aux lèvres, foulant de ses pieds son taliss, il se mit à couvrir d’opprobre la malheureuse Communauté, mêlant à ses imprécations des lambeaux de versets empruntés à Ezéchiel, à Jérémie ou à Job. Comme s’il les voyait de ses yeux, il racontait les choses effroyables qui se passaient en ce moment à Smiara, et prophétisait que demain le village de I’Impureté-Noire en verrait de plus affreuses encore ! « Ils vous tueront comme des chiens, hurlait le malheureux dément. Ils vous planteront le harpon dans la tête. Ils vous abattront d’un coup de matraque à leurs pieds ! Dieu est rassasié de vos crimes et de vos fornications, et de vous voir, du matin