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noble femme qui, en dépit des difficultés de tous genres occasionnées par sa délicate situation de conciliatrice entre les belligérants, avait entrepris l’éducation de ce petit étranger si peu docile. C’était un enfant « aux yeux bleus, au nez aquilin, aux cheveux blonds, avec une belle figure et un beau sang, la taille bien prise ; » malgré ces avantages, par suite de quel aveuglement la vicomtesse, prenant tant de soins de cet intrus et s’occupant de lui avec une sollicitude attentive, ne s’aperçut-elle jamais qu’il n’était pas du monde auquel il prétendait appartenir ; comment les manières et le langage de l’élève ne décelèrent-ils pas à son hôtesse avisée son origine vulgaire ? Le hasard seul s’en chargea : en arrivant au quartier général de l’armée d’Anjou, le chevalier de Vesins, récemment débarqué d’Angleterre, apprit que « l’un de ses neveux » habitait le château d’Angrie : il protesta qu’aucun individu de ce nom n’était resté sur le continent ; toute la famille de Vesins, émigrée, vivait à Londres, d’où il venait. Le propos fut rapporté à la vicomtesse de Turpin ; loin de s’indigner contre l’imposteur et de le mettre aussitôt à la porte, « elle ne se pressa pas de le renvoyer ; » elle ne lui témoigna même pas son mécontentement : c’est seulement quand les troupes républicaines approchèrent d’Angrie qu’elle jugea opportun de l’éloigner du château. Elle confia l’enfant à un domestique, nommé Simon, chargé de le reconduire à ses parents.

Il y a loin d’Angrie à Vesins, où Simon se rendait à tout hasard : quinze lieues au moins, et les chemins étaient difficiles. Simon chevauchait un cheval rouge, ayant le petit en croupe ; on passa la Loire et, le premier soir, on coucha à La Pommeraye : le lendemain, on fit route par Chemillé ; le petit fourbe s’obstinait à soutenir que son père était un seigneur et il désignait à Simon « des fermes qu’il prétendait lui appartenir. » Mais lorsqu’on fut arrivé à Vesins, l’aubergiste de l’hôtel du Rocher reconnut dès l’abord le gars pour être Mathurin Bruneau, fils d’un sabotier du village, décédé depuis plusieurs années, et dont la femme était morte, elle aussi. Comme c’était jour de marché, Simon, du seuil de l’auberge, cria, à la façon des vendeurs forains : « Qui veut réclamer ce petit elle reconnaître ? » Plusieurs curieux s’amassèrent et signalèrent à Simon qu’une sœur de Mathurin vivait à Vihiers, bourgade distante de deux lieues. Simon s’y rendit, trouva la femme